Le Contrat Social - anno IV - n. 2 - marzo 1960

94 des menchéviks étant d'aider le gouvernement provisoire bourgeois à arracher le pouvoir aux soviets. On pourrait multiplier les exemples. LE LEITMOTIVde la nouvelle Histoire était ainsi indiqué bien avant la publication sous sa forme définitive. Mais avant d'en discuter le thème principal, il vaut de comparer le nouvel ouvrage au précédent. L' Histoire ressemble beaucoup au Précis par le style et la concentration ; elle est plus longue - près de deux fois - mais couvre vingt a..rméesde plus. Nombre de passages de l'ancienne version sont conservés mot pour mot. La nouvelle version est un pamphlet politique tout a~tant,que l'ancienne et son respect à l'égard des faits n est pas plus grand. Il est des points où le Précis se montrait même plus près de la vérité. C'est ainsi qu'il comptait le Bund juif parmi les organisations à l'origine du premier congrès des sociaux-démocrates russes en 1898 (en. fait c'est le Bund qui assuma toute l'organisation du congrès). L' Histoire omet toute mention du Bun4 ~ ce propos, ce q1:1itendrait à prouver que les Juifs sont encore moms à la mode aujourd'hui dans la mythologie du Parti que sous Staline. Il y a dans les mensonges de la nouvelle Histoire un raffinement par rapport au Précis : les affirmations sont étayées dans certains cas par des inventions détaillées visiblement destinées à passer pour des preuves documentaires, bien qu'aucune source ne soit jamais citée. Nous app~enons ainsi que 24~•.757 (ni plus, ni moins) familles koulak furent re1nstallées entre le début ~e 1930 et. l'autom..11ede 1932 et que des condit~ons de vie normales .furent créées pour elles, ailleurs que dans leurs lieux d'origine 3 • Rares sont ceux .qui, en Union soviétique, se laisseront convaincre par cette version du prix humain de la collectivisation. Mais l'invention hardie, le chiffre précis et l' « autorité » de l' Histoire aideront sans doute les compagnons de route et les communistes de l'étranger à jeter le doute sur les preuves vérifiées des immenses sacrifices imposés par la politique de Staline. L' Histoire affirme aussi - sans donner de source, mais avec force détails - qu'en été 1939 la Grande-Bretagne, tout en menant des pourparlers avec l'URSS, négociait en même temps s~~rètement a':ec ~itler un accord sur des sphères d influence separees et le démembrement de l'URSS et de la Chine 4 • Il s'agit là de faire contrepoids au témoignage concret fourni par les document~ de la Wilhemstrasse aujourd'hui publiés et qui sont formels : le pacte germano-soviétique fut signé sur l'initiative de Staline et non de Hitler, et il prévoyait un partage de sphères 3. Ibid., p. 441. 4. Ibid., p. 491. · Bibl-ioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE d'influence entre les deux dictateurs 5 • Il va sans dire que rien de tout cela ne figure dans l' Histoire : on laisse le lecteur tirer la conclusion fausse que , Staline, en acceptant le pacte, ne cherchait qu'à gagner du temps. LA MANIÈREdont Staline est traité dans la nouvelle Histoire est également caractéristique et confirme l'atténuation, depuis la fin de 1956, des critiques à l'adresse du chef défunt. On ne pouvait évidemment s'attendre à une mention du 'fameux discours antistalinien prononcé par Khrouchtchev devant le XXe Congrès, le contenu n'ayant pas été rendu officiellement public (bien que sa matérialité apparaisse dans le compte rendu sténographique). Toutefois le Comité central avait publié une déclaration (30 juin 1956) destinée visiblement à expliquer comment les hommes qui avaient soutenu Staline dans ses pires excès pouvaient encore être au pouvoir. Selon ce document, Staline ne commença à mal tourner qu'en 1937, en prenant des mesures excessives contre des adversaires déjà à terre; pendant la g~erre, des «travaill~ursmilitaires et politiques » auraient pu dans certains cas reprendre les·choses en main; enfin après 1945 Staline aurait recommencé à subir les effets du << culte de la personnalité ». Les autres dirigeants du Parti avaient les mains liées, poursuivait-on, car une action entreprise contre Staline aurait été mal comprise du peuple, qui le tenait pour un vaillant combattant du socialisme 6 • La nouvelle Histoire considère évidemment cette fai~l~ excuse comme inut~e ou i!llpolitique, et les cntiques concernant Staline qui subsistent sont très édulcorées. Le dictateur a certes été réduit à l'échelle humaine : on admet par exemple que pendant un temps, en mars 1917, il se trompa (dans sa politique envers le gouvernement provisoire) et qu'en 1941 il ne tint pas suffisamment.,,, compte des avertissements suivant lesquels Hitler projetait d'envahir l'Union soviétique. Le mérite attribué jusqu'à présent à Staline comme organisateur de la révolution d'Octobre est transféré à Lénine (il n'est pas question dans !'Histoire de réhaqiljter Trotski comme dirigeant pendant la révolution ou la guerre civile). Les critiques formulées à l'égard de Staline par Lénine dans son« Testament» de 1922 - mais non son éloge de Trotski - sont reproduites, mais le lecteur est invité à croire que Staline en tint parfaitement compte et amenda sa conduite. 5. Cf. Nazi-Soviet Relations 1939-1941: Documents /rom the Archives of _the Germ'!n Foreign Office, Washington, D. C., 1948: -. Édition française : L'! Vérité sur les rapports germano-so'Ulétiques,1939 à 1941, Pans 1948. Contrairement à ce qu'écrit l'auteur della préface, l'éditeurlfrançais s'est permi~ des co~pures •dans cette doc~entation indispensable, ce qw a été signalélen son temps par A. Rossi, auteur de Deux ans d'alliance germano-soviétique, Paris 1949. 6. Guide du militant; pp. 321-38.

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