Le Contrat Social - anno IV - n. 1 - gennaio 1960

B. SOUV ARINE cratie économique. « Sans libertés politiques, écrit-il, toutes les formes de représentation ouvrière resteront pitoyable tromperie, le prolétariat demeurera en prison comme auparavant, privé de l'air, de la lumière et de l'espace indispensables à sa complète émancipation.» On lit dans sa brochure intitulée Deux tactiques : « Quiconque veut aller au socialisme par une autre voie que la démocratie politique aboutira immanquablement à des déductions absurdes et réactionnaires, tant économiques que politiques. » Il a frappé aussi l'aphorisme : « Hors de la démocratie, point de socialisme.» Il déclare en 1914 : « Nous voulons à tout prix une Grande Russie fière, républicaine, démocratique, indépendante et libre ... » Quand la révolution de 1917 commence, il multiplie les déclarations dans le même sens. Le pouvoir aux soviets, dit-il, « voilà le seul moyen d'assurer l'évolution graduelle, pacifique, indolore des événements». Et ensuite : « Le développement pacifique de la révolution serait possible et probable si tout le pouvoir était remis aux soviets. La lutte des partis pour le pouvoir peut se développer pacifiquement au sein des soviets à condition que ces derniers renoncent à donner des entorses aux principes démocratiques.» Et encore : « Si les soviets prenaient le pouvoir, ils pourraient maintenant encore (...) assurer le développement pacifique de la révolution, l' élection pacifique par le peuple de ses députés, la concurrence pacifique des partis au sein des soviets, l'expérimentation du programme des différents partis, le passage du pouvoir d'un parti à un autre». Et enfin, il réclame à cor et à cri l'élection de l'Assemblée constituante, « une véritable liberté de la presse pour tous», l'abolition de la peine de mort, le droit des allogènes à disposer d'eux-mêmes. Les mesures essentielles qu'il propose pour réaliser son programme démocratique quand les soviets auront assumé le pouvoir se résument dans la suppression radicale de la police, de l'armée permanente et du fonctionnarisme : « Le remplacement de la police par une milice populaire est une réforme qui découle de toute la marche de la révolution (...) Il n'y a qu'un moyen d'empêcher le rétablissement de la police : c'est de former une milice populaire fondue avec l'armée ... » La milice, « où entreront tous les citoyens et citoyennes de quinze à soixantecinq ans», réalisera l'armement général du peuple, ses cadres étant élus à tous les grades, et se subsBiblioteca Gino Bianco 5 tituerait à l'ancienne police, à l'ancienne armée. Tous les fonctionnaires, désignés par élection, seraient révocables et rémunérés aux mêmes taux que les ouvriers. Ainsi dépérira « l'État parasite» et s'accomplira la transmutation socialiste : « Ces mesures démocratiques, simples et allant de soi, en solidarisant les intérêts des ouvriers et de la majorité des paysans, serviront de passerelle entre le capitalisme et le socialisme. » Ces quelques passages significatifs choisis parmi cent autres ne figurent jamais dans les exposés ni les anthologies du léninisme, non plus que les certitudes (géniales ?) de révolution européenne imminente ni les prédictions sur la révolution mondiale prochaine. L'État et la Révolution, livre où Lénine argumente avec ardeur sur le thème du dépérissement de l'État et prône la suppression de la police, de l'armée, de la bureaucratie professionnelles, est introuvable sur les listes de références. Si des proses aussi dangereuses ne sont pas retranchées des volumineux recueils d'œuvres prétendues complètes, que peu de spécialistes consultent, du moins les précautions sont-elles bien prises pour en limiter les dommages. On comprend que les auxiliaires de Staline qui ont divinisé leur tyran et pontife après avoir contribué à créer sous ses ordres une police, une armée, une bureaucratie monstrueuses dans un État totalitaire sans précédent soient peu enclins à propager des semences d'indiscipline. Le Lénine qu'ils adorent n'est pas l'apôtre marxiste de la démocratie intégrale dont les préceptes occasionnels sont mis sous le boisseau pour longtemps, peut-être pour toujours, mais le prétendu jacobin du prolétariat qui, dans les temps troubles de la Russie du xxe siècle, s'inspira du terrorisme de son adolescence pour fonder l'État sovjétique par la violence, l'affermir par la terreur. Ayant pris le contre-pied de la plateforme léniniste d'Octobre, ils n'en sont pas à une contradiction près quand ils réprouvent le culte de la personnalité tout en célébrant le culte de Lénine. Mais comme l'a remarqué l'auteur du Contrat social : << Moins un culte est raisonnable, plus on cherche à l'établir par la force.» L'usage abusif de la force étatique pour imposer les fictions du léninisme prouve assez que, dans l'ordre spirituel, le régime soviétique n'a pas encore trouvé ses assises normales et durables. B. Souv ARINE.

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