Le Contrat Social - anno IV - n. 1 - gennaio 1960

TECHNIQUE ET COMMUNISME par Léon Etnery LES MOTS ont un pouvoir magique ; il suffit d'évoquer la Révolution en lui accordant le bénéfice de la majuscule pour qu'elle acquière par définition, au moins dans la pensée de ses adorateurs, le droit de conquérir toute la planète et d'y faire régner les mêmes formes d'existence. Karl Marx ne résista pas à la tentation du mythe ; il édifia une philosophie de l'histoire dans laquelle les crises révolutionnaires du passé n'étaient plus que des jalons sur la route conduisant à celle, généra]e et absolue, dont il s'instituait le prophète. Encore aurait-il fallu poser la question préalable, se demander si la Révolution finale, ainsi dressée en une perspective hallucinante, était plus qu'une vue de l'esprit. Éclaterait-elle un jour sur toute la surface de la terre ? Se communiquerait-elle d'un foyer à un autre jusqu'à pleine victoire ? Demeurerait-elle intangible en sa première patrie tandis que se développerait la chaîne de ses conséquences ? Autant d'obscurités ou, comme on voudra, de fausses clartés hypothétiques, dont Marx ne se soucia guère ; par acte d'autorité et de .la même manière, il enrôle au service de la Révolution mondiale ce soldat exemplaire et typique qu'est à ses yeux le prolétaire et qui, dégagé par les effets de l'aliénation de toute attache avec une nation, sera partout l'instrument premier du socialisme cosmopolite. Raisonnant de la sorte, Marx fut aussi mauvais psychologue que bon logicien ; rien n'est plus manifestement démontré que l'affinité entre la conscience populaire d'une part, le nationalisme et le chauvinisme de l'autre, et cela malgré tous les revêtements idéologiques ou verbaux dont on se sert pour déguiser la réalité. Qu'un vigoureux penseur ait pù se tromper à ce point, voilà qui, une fois de plus, doit inciter à la prudence dans les prévisions. Toutes proportions gardées, c'est bien cette prudence qui Biblioteca Gino Bianco doit nous guider tandis que nous lisons le livre d'ailleurs utile et suggestif que M. Jacques Ellul consacre à La Technique, enjeu du siècle. C'est bien d'une autre Révolution mondiale qu'il est question en cet ouvrage et. même, si l'on en croit l'auteur, de la seule dont on puisse sérieusement s'occuper. Hâtons-nous d'ajouter que M. Ellul n'en est aucunement le zélateur, qu'il se pique d'en parler sans amour et sans haine, qu'il veut seulement décrire des faits et dégager objectivement des lois. La thèse se ramène donc à ceci, que toutes nos discussions politiques sont désormais vain bavardage et poussiéreuse scolastique, car tout est conduit, qu'on le veuille ou non, qu'on le sache ou non, par la triomphante technique. Elle n'est pas seulement, ni même principalement, invention et fabrication des machines, mais méthode d'organisation de la vie sociale en ses innombrables rouages d'après les règles efficaces. qui conduisent au meilleur rendement. Peu à peu, disons plutôt très vite, le technocrate, l'ingénieur, s'empare du gouvernement des choses et des hommes, soumet · à ses conceptions les gouvernements, la vie économique, la propagande, l'éducation, les divertissements, les sentiments, les idées. Comme il n'est rien de plus uniforme que la technique, le monde se recouvre ainsi d'une carapace d'usines, de chantiers, d'institutions, de lois, qui effacent les disparates; libre à chacun de considérer avec horreur la formation de la monstrueuse fourmilière ou bien de dépasser ce spectacle en se fiant à un finalisme optimiste. L'analyse ne veut que nous placer en présence des réalités qui d'ores et déjà nous subjuguent. Il est pourtant un aspect du processus sur lequel il convient d'insister. Si l'universelle technocratie est la vérité de demain et déjà, dans une large mesure, celle d'aujourd'hui, il s'ensuit que les débats classiques sur le libéra-

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