JEUNESSE ET LITTÉRATURE SOVIÉTIQUES par Véra Alexandrova Aux ÉPOQUES de grands remous historiques, la jeunesse se considère toujours comme la « nouvelle génération » prête à prendre la relève des aînés. L'un des jeunes écrivains soviétiques les plus doués, Eugène Evtouchenko, écrivait au début de 1955 dans un article sur « Deux générations poétiques » : · Les poètes nouveaux ne surgissent pas isolés dans la littérature. Nous associons l'image de chaque poète à une génération poétique particulière ... Seul un poète profondément lié à sa génération peut devenir le porteparole des tendaJ}ces intellectuelles du peuple tout . 1 entier ... Evtouchenko se range lui-même dans une génération différente de celle qui a pu prendre une part active à la deuxième guerre mondiale et dont les œuvres reflètent directement cette expérience. La génération actuelle est, elle aussi, profondément, un produit de la guerre ; mais seuls quelques-uns parmi les plus âgés ont effectivement participé aux derniers combats. La plupart étaient encore des enfants à l'époque (Evtouchenko lui-même avait dans les huit ans au début du conflit): ils ont ressenti le choc de la guerre d'une manière différente. Des aperçus sur l'enfance de cette génération sont fournis par certains écrits de la période de guerre. Ce qui caractérise ces enfants, c'est une assurance bien au-dessus de leur âge. Ainsi du petit Vova dans Le Quartier de Pétrograd, de Tatiana Ocks (1942), qui est le fils d'un soldat de l'Armée rouge combattant durant le siège de Léningrad. La mère de Vova travaille dans une usine d'armements. L'enfant tient la maison et, le soir, va chercher sa mère qui craint de rentrer seule. Cette même impression de personnalité sdre d'elle-même distingue Olga, dans La Famille, J. Lit,ratournala Ga.f1ta, 25 janvier 1955. Biblioteca Gino Bianco de Nicolas Tikhonov (1942), et Pétroucha dans La Famille lvanov, d'André Platonov (1946). Ces enfants ont accoutumé dès leurs plus jeunes années de vivre seuls, dissimulant aux aînés leurs pensées, leurs chagrins et leurs rêves. Le père de Pétroucha, revenu du front, se rend compte qu'il a perdu tout contact avec les siens, qu'il n'éprouve pas de tendresse réelle pour l'enfant : « Il parle comme un grand-père, mais je gage qu'il ne sait même pas lire.» Ce n'est que lorsque Pétroucha, « attendrissant et pitoyable », dira dans son sommeil : « Maman, maman, prends-moi dans tes bras, je suis si fatigué », que nous comprendrons combien il est encore petit, combien « son âme reste enfantine quand l'inquiétude ne l'effleure pas ». Que le thème de l'enfance ait pris de telles proportions dans les récents ouvrages d'imagination de cette génération devient ainsi compréhensible. Le jeune écrivain Korenev s'y attarde : Le jeune gars fougueux ne se souvient peut-être pas De ces jours-là, de cette route, de ce lourd fardeau. Mais l'enfance, sait, elle, Avec son instinct si sûr De l'essentiel 2 ... Avec la même lucidité ces enfants « ont vu leurs aînés sans masque», dit la jeune poétesse Youlia Neiman, qui rappelle les souvenirs d'un enfant sur la guerre dans son poème 1941 3 • La vie cc sans fioritures » L'INFLUENCdEe la guerre sur la formation de la nouvelle génération littéraire est résumée par Vassili Ajaev (auteur du roman Loin de Moscou, 1952) dans un article intitulé : « Les jeunes forces 2. A. Korcncv, dans Oktiabr, octobre 1956. 3. I..itiratournafa Moskva, vol. II, 1956.
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