40 de la prose soviétique» 4 • Ajaev demande : « Quel est le trait distinctif de la jeune génération ? En quoi ses écrivains diffèrent-ils des jeunes des générations précédentes ? » Et il répond : Ils ont été formés par la guerre (...) qu'ils aient combattu ou qu'ils aient seulement été arrachés à leurs foyers et évacués. Dans l'un et l'autre cas ils ont éprouvé dans leur enfance et leur jeunesse le choc d'une vie pleine d'épreuves et de souffrances ; ils ont appris à connaître [la vie] non dans les livres, mais par expérience, et indiscutablement sans fioritures. Ajaev dut se sentir obligé d'ajouter que cet apprentissage de la vie telle qu'elle est, et non pas telle qu'on l'apprend dans les livres (autrement dit non conforme au cliché officiel), « n'avait pas empêché ces enfants de puiser dans le lait maternel un amour profond de la patrie socialiste ». Cependant la production littéraire de la nouvelle génération révèle que, quels que soient ses sentiments envers le pays, cette génération est bien éloignée des tirades conventionnelles sur le «patriotisme socialiste » de la jeunesse qui marquaient les écrits antérieurs. Parmi les ouvrages récents sur les réactions de la jeunesse, l'essai de Nicolas Pogodine, Rencontres au Koustanaï, traite des jeunes gens mobilisés pour la mise en valeur des terres vierges 5 • Remarquant que ces jeunes n'ont qu'une «très faible ressemblance» avec le contingent ·plein de z~le qui entreprit, vers 1930, la fondation de la ville de Komsomolsk, Pogodine note : Les temps sont changés. Le romantisme et la nouveauté des premiers plans quinquennaux sont choses du passé. Il y a eu une grande guerre nationale et le ·travail sur les terres vierges n'est pas la construction d'une cité romantique. Les travailleurs des terres vierges sont en majorité des «gars» qui ont quitté l'école avant le baccalauréat. Beaucoup d'entre eux n'ont plus de famille. Ils sont avares de paroles et de sourires, leur langage est souvent émaillé d'expressions «marquant l'absence de culture ». Ils ont tous le même dédain des slogans ronflants : Un garçon au regard tranquille vous écoutera en silence l'appeler l'envoyé de la patrie. En réalité il est venu ici pour changer d~existence... Il est des jeunes qui n'ont pas pu se faire au travail à l'usine ou dans quelque collectivité, dont la vie a subi une cassure. C'est pourquoi, comme l'un d'entre eux me l'a dit, ils sont partis à la recherche (...) d'un coin où on ne les connaisse pas, où ils ne seront pas condamnés pour d'anciennes fautes et où, débarrassés de leur passé, ils pourront refaire leur vie. ·· Il n'y a que très peu de « cas désespérés, d'irrécupérables ou de voyous » parmi les pionniers des terres vierges. Si certains n'ont pas encore réussi à organiser leur nouvelle existence, la 4. Novy Mir, mars 1956. 5. Znamia, novembre 1955. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE faute en incombe, affirme l'auteur, au manque de compréhension et d'aide effective de la part des autorités locales. Les œillères de la bureau·cratie UN EXEMPLE de cette froideur· sans âme des cadres du Parti est fourni par Léonide Volynski dans un récit également intitulé Rencontres au Koustanaï 6 • Le jeune Tolla Kostiouchenko, qui n'a pu terminer ses études, est parti travailler dans une usine du Kazakhstan. Au début tout alla bien. Mais après quelque temps, Tolia se mit à négliger son travail et à boire un peu trop. Appelé à s'expliquer au bureau, « il admit franchement qu'il ne pouvait se dominer et demanda que sa mère vînt vivre avec lui » (le père de Tolla était mort à la guerre). La mère ne demandait qu'à venir, mais rien ne fut fait pour lui procurer un emploi sur place. Tolia finit par avoir de mauvaises fréquentations, fut surpris en train de voler et jeté en prison. Sa mère accourut et en appela au comité de district des Jeunesses communistes (Komsomol). On comprit là, mais un peut tard, que tout n'avait pas été fait pour aider le garçon. L'auteur s'attarde sur « les profondes meurtrissures que l'injustice peut infliger à une âme jeune et sans défense, et combien peu s'en soucient, dont le devoir est pourtant d'enseigner et d'éduquer ». La• même idée est développée par le jeune Alexandre Volodine dans une pièce de théâtre intitulée Fille d'usine (1956). L'intrigue, fort simple, est bâtie autour d'une jeune ouvrière de filature, Jenka Choulgenko. Un cinéaste vient à la filature pour filmer un groupe d'ouvrières et montrer qu'elles mènent une vie empreinte de «culture ». Dans une scène amusante tournée au dortoir, où les jeunes filles se hâtent de ranger leurs affaires et de mettre en évidence les livres empruntés au « Coin rouge », Jenka tranche sur ses compagnes par sa beauté, sa bonne humeur et sa franchise spontanée. Un peu plus tard, au cours d'une sauterie au club ouvrier, Jenka est priée de quitter la piste de danse parce qu'elle manifeste trop bruyamment sa gaieté. Un dirigeant du Parti nommé Bibitchev la cite dans le journal local commeiexemple type de ces travailleurs qui « gâtent par leur conduite la réputation de tout un groupe ». Jenka est sévèrement rappelée à l'ordre et manque perdre sa place. Cependanff.ses amies interviennent en sa faveur et tout se termine bien. Or cette pièce, si faibl~ au point de vue dramatique, a obtenu un grand succès. Le critique Stroyev, dans un commentaire intitulé« Tournure d'esprit critique» 7 (qualité que Jenka s'attribue allégrement), déclare même qu'il n'a pas souvenir 6. Novy Mir, novembre 19s8, 7. Thl4tr,, juin 1957. ..
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