MARX ET LE DESPOTISME par Kostas Papaioannou . DE AŒME que Démocrite transposait les concepts d' « en haut» et d' « en bas» à l'espace infini où ils n'ont plus de sens, de même Marx projetait dans l'histoire universelle passée et à venir une image de la société où les conquêtes, les tensions, les motivations, voire les fictions spécifiques de l'ère libérale, étaient censées représenter les données constitutives de toute vie en commun. Ainsi par exemple Marx décrivait les classes en termes essentiellement économiques en présupposant que la séparation, réclamée par les libéraux, de l'État et de l'économie se retrouvait à la base de toutes les sociétés. Dans sa perspective, les classes se forment spontanément, par la seule action du progrès technique et de la division du travail, sur la base des rapports purement privés qui constituent la société civile. Chaque fois une classe particulière monopolise la « direction générale du travail »1 en réduisant les producteurs directs à l'état d'instruments passifs de la production. Elle s'approprie les conditions matérielles de la production et institue les rapports de prdpriété adéquats : propriété étatique, propriété féodale, propriété bourgeoise, etc. A une étape ultérieure du développement économi~ue, sa domination devient incomfatible avec 1expansion économique. « Alors s ouvre une ère de révolution sociale.•. » Finalement, l'évolution économique permet à la classe exploitée et opprimée de la pénode précédente d'accéder à la prépondérance et d'imposer à la société le mode « nouveau et supérieur » de production dont elle est le porteur. L'histoire est le récit de la lutte des classes et celle-ci aboutit chaque fois « ou bien à la transformation révolutionnaire de la société tout entière, ou bien à l'effondrement simultané des classes en conflit »2 • 1. Engela : Herm Bu,m Dahri,,,,, ,te., Moscou 1946, p. 348. 2. Marx-Engels : u• Manif ut, communut,, in Di, PrUh- ,chriftm, 6d. KrGner, 1953, {titre abr616 : KM), p. 526. Biblioteca Gino Bianco Il va de soi que pareille image de la société et delson devenir présuppose une autonomie et une spontanéité parfaites de la société civile, autrement dit que l'action de l'État sur le monde économique reste nulle ou secondaire. C'est précisément ce qu'affirme la théorie de l'État- « superstructure ». L'État et la société civile POUR LElMARXIsME,'1'Étant'est qu'une superstructure, une « annexe » de la société civile. « De règle générale», il est l'instrument de la classe qui, à un moment donné, domine dans les « rapports de production ». 11 exerce, certes, une fonction d'arbitre lorsque des conflits éclatent entre les diverses fractions de la classe dirigeante ; mais cette fonction d'arbitrage ne fait nullement de l'État une puissance constituante capable de modifier essentiellement les rapports entre les classes, lesquels s'établissent toujours « nécessairement et indépendamment de la volonté des hommes». Il est vrai aussi que, sous certaines conditions, le pouvoir d'État peut acquérir une certaine « indépendance » vis-à-vis de la société. Il peut échapper au contrôle de la classe dominante et se placer au-dessus de la société. Mais, selon Marx, cette élévation de l'État ne lui confère nullement la réalité substantielle et la puissance créatrice dont les classes de la société civile sont les seuls dépositaires. De « serviteur de la société , qu'il était à l'origine 3 , l'État peut en devenir le « maître », mais sa souveraineté laisse le monde économid~~ en dehors de son emprise : elle s'exerce s l'éther de la vie politique sans entrai3. En cc qui concerne cette intcrpr~tation proprement idyllique de la naissance et de l'• autonomisation • de r1hat, cf. Engels : PrUacc A La Grurr• civil, m Franc,, Paris 1946, p. 14.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==