Le Contrat Social - anno III - n. 6 - novembre 1959

340 Orient. Car de quoi s'agissait-il pour les nouveaux .dirigeants en question ?. En termes pratiques, le caractère « retardataire » des pays sous-développés se réduit à ceci : il y existe une disproportion très marquée entre les ressources disponibles pour les investissements et les besoins en capitaux nécessaires à la rénovation économique de grande envergure exigée par le peuple. De nos jours, la transformation économique des pays sousdéveloppés est synonyme d'industrialisation. L'intelligentsia y a été portée au pouvoir par l'intensité des nouveaux mouvements politiques engendrés par la diffusion de la technologie occidentale, et les dirigeants de ces pays sont désormais tous tenus de faire quelquechose pour « rattraper l'Occident». 11 s'ensuit que dans tous les pays sous-développés les dirigeants politiques de fraîche date ont dû entreprendre de remettre en état, de fond en comble, l'économie nationale. Ce qui équivaut à l'instauration d'un maximum d'autarcie avec l'aide des nouveaux groupes au pouvoir. Ceux-ci se recrutent principalement dans l'intelligentsia des travailleurs à col blanc, qui dans l'ensemble du monde sous-développé se sont multipliés hors de toute proportion avec les possibilités d'emploi. Le milieu politique dans lequel opèrent ces groupes est caractérisé par l'appui inconstant et fébrile à la fois qu'ils trouvent dans les autres couches de la population affectées par la diffusion de la pensée politique « moderne » depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Donc, pour l'essentiel, la situation est commune à toutes les nations en formation. Elle consiste à la fois dans le besoin de gros investissements et dans le fait que celui-ci s'exprime à travers un groupe dirigeant qui s'appuie sur des masses exigeantes et dépourvues de maturité politique. A partir de là, il devient plus facile de déterminer la nature du problème qui s'est posé aux nouveaux dirigeants nationaux. Où pouvaient-ils trouver les capitaux ? Les milieux d'affaires et la classe moyenne indigènes n'étaient niaoifestement pas capables de fournir les fonds nécessaires aux projets économiques; de plus, les caractères traditionnels de cette bourgeoisie, hérités d'un système économique retardataire, s'opposaient à son absorption dans un programme ambitieux d'expansion économique à direction centralisée. · · Mais tout groupe de dirigeants nouveaux sent le sol lui brûler les pieds : il faut faire quelque chose, ou du moins il faut faire· semblant. C'est ce fait, simple et évident, qui est à la base de la convergence entre le ferment du nationalisme arabe et le dynamisme structural ·du bloc soviétique. Les hommes plutôt jeunes, membres des juntes qui ont pris le pouvoir en Égypte, en Syrie et tout récemment en Irak, ont eu à satisfaire les demandes obstinées qui exigeaient la dépense d'énormes capitaux, tout .en jouant, aux yeux de l~urs partisans, le rôle d'énergiques directeurs d'entreprises à l'échelle nationale. Dans ces cirBiblioteca Gino Bianco· LE CONTRAT SOCIAL constances, et quelles qu'aient pu être leurs opinions personnelles quant à la validité du comm11nisme ou du marxisme en tant que théorie, ces gens n'ont pu manquer de considérer le système soviétique - avec son monopole du commerce extérieur, sa planification économique étatique et son programme hyper-accéléré d'industrialisation, le tout encadré par un vaste mouvement de masse inspiré d'une certaine mystique ou « idéologie » - comme remarquablement adapté à leurs propres besoins. On peut dire en effet du régime· soviétique qu'il est le seul à offrir un ensemble d'institutions permettant aux jeunes dirigeants des pays sous-développés de faire montre d'initiative en s'attelant à d'ambitieux programmes de «réformes» (c'est-à-dire de développement économique), tout en gardant les rênes du pouvoir et en rendant hommage du bout des lèvres à la mystique collective qui justifie leur entreprise de rénovation. La tendance vers une sorte d'osmose institutionnelle entre le bloc soviétique et les nouveaux régimes du Moyen-Orient constitue évidemment un facteur beaucoup plus efficace et immédiat que toute incompatibilité de doctrine qui pourrait exister entre l'islam et le communisme. D'ailleurs, même d'un point de vue théorique, les institutions qui sont à la base de la structure historique de l'islam ne sont nullement incompatibles avec celles de la société communiste moderne. Après tout, l'islam repose depuis ses origines mêmes sur le triple fondeme11t de la théocratie (autorité souveraine centralisée, dotée de sanction divine), de l'armée (qui engendra l'organisation proprement dite de l'islam dès les premiers siècles), et de l'intelligentsia (l'ancienne bureaucratie des scribes héritée de la Perse et de Byzance, avec en plus le clergé). Ainsi, en faisant abstraction de l'élément de sanction divine, le type d'organisation de la société musulmane est parfaitement capable d'adaptation au système soviétique, une fois que l'on a trouvé la bonne clef idéologique et procédé aux ajustements tactiques qui s'imposent. Impératifs fonctionnels ' IL EST UNE CHOSE plus importante que ces considérations générales, historiques et philosophiques : c'est le fait que les problèmes qui se ' , . , . posent a un no~veau reg1me sont necessatrement, dans n'importe quelpays, des problèmes de nature fonctionnelle et non point des sujets de pure analyse théorique. L'Etat soviétique· lui-même en offre le parfait exemple, av~c son régime que l'on décrit si souvent comme l'antithèse de la · pensée 11'.lUSulmanec, e qui garantirait l'invulnérabilité des pays du Moyen-Orient aux charmes du communisme. Or, lorsque le parti bolchévique s'empara du pouvoir en 1917, il était presque exclusivement composé d'intellectuels. Cette prise du pouvoir

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==