308 économistes soviétiques à l'époque de la nep nous semblent pouvoir éclairer certains aspects encore mal connus de l'économie «mixte» qui caractérise aujourd'hui la plupart des pays occidentaux les plus évolués : aux États-Unis même un secteur public parfois assez vaste ne coexistet-il pas avec un secteur privé ? Le problème des rapports entre l'or et les prix, enfin, obscurci depuis plus de trente ans par d'incessantes manipulations monétaires, sera de nouveau à l'ordre du jour lorsque les États-Unis devront reconsidérer le cours présentement factice de l'or. On s'apercevra alors que le débat de 1913 entre Kautsky et Otto Bauer d'une part, Hilferding et Varga de l'autre, avait sa raison d'être. Loin de relever de la théorie pure, toutes ces questions conservent une incontestable actualité. Nous laisserons délibérément de côté celles dont l'importance pratique paraît plus que douteuse, mais qui devraient trouver place dans une étude plus poussée : c'est le cas des nombreuses controverses sur la valeur-travail et la théorie marginaliste, sur le travail qualifié, sur le travail productif et le travail improductif,- sur la concentration et sur la « paupérisation ». LES DEUX PRINCIP AUX théoriciens marxistes de l'impérialisme furent Rodolphe Hilferding (Le Capital financier, 1910) et Rosa Luxembourg (L'Accumulation du capital, 1913). 11 importe ici de faire justice de la légende selon laquelle il existerait une théorie marxiste de l'impérialisme due à Lénine. Quiconque a lu son opuscule intitulé L' Impérialisme, stade suprême du capitalisme (1917) sait qu'il s'agit d'un pamphlet essentiellement politique dont la partie économique relève de la compilation. Du côté bolchévique, le_ seul ouvrage théorique cljgne de ce nom est celui de Boukharine : L'Economie mondiale et l'impérialisme (1917). Lénine « théoricien de l'impérialisme » ne fut inventé qu'en 1924 lorsque, pour les besoins de leur cause, le triumvirat Zinoviev-Kamenev-Staline crut devoir faire du « léninisme » le dogme officiel de l'Internationale communiste : Lénine ayant été promu théoricien de l'impérialisme, il était naturel que le «léninisme» devînt le « marxisme de l'époque impérialiste». L'ouvrage de Fritz Sternberg, Der Imperialismus, publié en 1926, suscita une vive discussion tant en URSS qu'en Occident, notamment parmi les austro-marxistes. Sternberg accepte dans une large mesure la thèse de Rosa Luxembourg tout en la retouchant sur quelques points importants. L'écho en est aujourd'hui bien affaibli, le capitalisme n'étant plus ce qu'il était alors 7 • 7. Au sujet de ces controverses, cf. la postface à notre résumé de la théorie de Rosa Luxembourg (L' Accumulation Bib.lioteca Gino Bianco DÊBATS ET RECHERCHE'S Sternberg lui-même l'admet dans ses ouvrages récents 8 et propose un plan d'études sensiblement différent, adapté aux exigences de l'époque. On assiste depuis la fin de la deuxième guerre mondiale à l'autoliquidation de l'impérialisme capitaliste, conséquence de la disparition des structures économiques traditionnelles dans les nations les plus avancées du monde libre. N u1 n'ignore que ces nations octroient depuis des années aux « pays neufs » ( appelés aujourd'hui «sous-développés») des sommes bien plus importantes qu'elles n'en tirent. Pendant ce temps, la puissance dirigeante du camp prétendument anti-impérialiste, voire «-socialiste », ne peut financer son industrialisation désordonnée et dispendieuse que par la spoliation brutale de ses satellites. Mais cet impérialisme de l'Est obéit à d'autres lois que le ci-devant impérialisme capitaliste, en admettant qu'il s'agisse en l'occurrence de lois objectives (personnellement nous croyons que la loi de la rentabilité joue aussi bien dans un cas que dans l'autre). On aurait cependant tort de croire que les analyses de Hilferding, Luxembourg, Boukharine, Préobrajenski et Sternberg ne peuvent plus être d'aucun secours. Les précisions qu'ils ont apportées sur les forces motrices de l'impérialisme capitaliste permettent de définir les différences spécifiques entre l'im- ~ périalisme d'antan et l'impérialisme soviétique. Elles facilitent d'autre part l'analyse des causes qui immunisent aujourd'hui dans une très large mesure les sociétés occidentales contre la fatale périodicité des crises. * "1- "1ON PEUT se demander si l'autoliquidation de l'impérialisme capitaliste est arrivée à terme et dans quelle mesure l'exploitation coloniale, dénoncée depuis longtemps par le socialisme, survit ça et là selon des modalités diverses. Il y a toujours transfert de valeurs -sans contrepartie dans les échanges entre pays à productivité inégale, ce transfert s'opérant au profit du pays le plus avancé. A cet égard, la démonstration de Marx 9 nous pàraît toujours fondée. Notons toutefois que les pays sous-développés parvenus à la souveraineté peuvent « corriger la fortune » grâce à une législation économique, fiscale et douanière appropriée 10 • Ils n'en demeurent pas moins du capital d'après Rosa Luxembourg, Libr. Marcel Rivière 1930) et notre article dans la Critique sociale (n° 7, janv. 1933) : « Contribution à la théorie des crises », reproduit en annexe à l'édition ita1ienne du résumé de L' Accumulation(Bd. Minuziano, Milan 1946). Sur les modifications subies par le capitalisme, cf. notre étude « Changements de structure de l'économie mondiale» in Kyklos, vol. V, fasc. 1-2 (Berne 1952). 8. Nous en avons traité ici même (Contrat social, novembre 1958 et mars 1959). 9. Le Capital, trad. Molitor, t. X, pp. 165-170. 10. Fr. Sternberg soulignait cet aspect de la question dès 1926 dans son ouvrage Der lmperialismus.
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