M. COLLINET attendre 1864 et I 884 pour que les droits de coalition et d'organisation professionnelle soient enfin reconnus. * "" "" LA RÉVOLUTION FRANÇAISE avait maintenu l'existence d'un prolétariat au statut comparable, mutatis mutandis, à celui de la Rome antique. La révolution industrielle lui donne, dès la première moitié du xix0 siècle, un caractère nouveau, sans précédent historique. Le prolétariat n'apparaît plus alors comme une simple séquelle du passé, mais comme le fondement de la nouvelle société industrielle. Dès 1819, Sismondi soutient, contre les économistes libéraux et optimistes de l'école de J.-B. Say, que la prospérité capitaliste crée une misère d'autant plus ressentie moralement et physiquement qu'elle s'accompagne d'une opulence croissante dans les classes non prolétariennes. « Le changement fondamental survenu dans la société (...), écrit-il, c'est l'introduction du prolétaire parmi les conditions humaines » 5 , non un prolétaire du type romain, plus ou moins à la charge de la société, mais d'un type nouveau aux dépens de qui vit la société. Après avoir analysé le mécanisme de la production déjà décrit par les libéraux, il s'attaque à celui de la répartition et en montre les contradictions, dont la principale est la sousconsommation du prolétariat. Celui-ci n'est pas seulement un producteur enchaîné à une tâche exténuante, c'est en même temps un sous-consommateur des produits qu'il fabrique. Toutes les enquêtes effectuées entre 1830 et 1848 ont confirmé ce fait capital : la masse des ouvriers non qualifiés, hommes, femmes et enfants, est incapable de racheter les produits industriels. Son salaire est plus qu'absorbé par l'a]imentation et le logement. En d'autres termes l'ouvrier, déjà exclu de la société politique et de l'organisation sociale, l'est aussi du circuit des biens industriels de consommation. Il est donc prolétaire au triple point de vue politique, social et économique. Il n'est dans la société qu'un producteur qui vend sa force de travail pour un ~a]aire ; il n'a de lien avec elle que d'ordre exclusivement fonctionnel. Cette participation n'étant morale ou sociale à aucun degré, elle est cause de revendications, sinon de passions révolutionnaires. Louis Reybaud, créateur du type de Jérôme Paturot, la décrit • • a1ns1 : C'est dans le régime même de la manufacture que ces passions ont pris naissance et s'alimentent, malgré les règlements, malgré les amendes, malgré le silence imposé et les servitudes multipliées jusqu'à la minutie, ou plutôt à raison de ces servitudes, de ce silence, de ces amendes ou de ces règlements 6 • S· Étude, sur r,conomie politique. • 6. De la condition dei oufJrier1 m 1oi, (18.59). Biblioteca Gino Bianco 193 La situation contradictoire et par conséquent explosive du prolétariat industriel provient de cette ambivalence vis-à-vis de la société bourgeoise. Il se trouve à l'intérieur de cette société sur un plan fonctionnel dont le caractère pénible et humi]iant, sinon inhumain, a été largement démontré; il en est à l'extérieur sur le plan social ; et son existence humaine, physique et morale, est soumise aux caprices du marché où se jouent le niveau des salaires et l'emploi. Il serait inexact cependant de qualifier le prolétariat de masse indifférenciée, de « décomposition de la société », comme l'écrit Marx, soucieux d'y voir l'élément négatif de sa dialectique. Cela est sans doute vrai des ouvriers à domicile, des. tisserands ruinés dont s'inspira Gerhart Hauptmann dans son drame célèbre, mais cela n'est déjà plus exact des misérables qui, venus des campagnes pauvres et trop peuplées, affluent vers les nouvelles industries urbaines et y recomposent la souche sédentaire de la future classe ouvrière. Cela est encore plus faux pour l'élite des ouvriers qualifiés et cultivés que l'on rencontre autour d'un journal comme l' Atelier de Buchez ou dans les groupes républicains dont parle Martin Nadaud. Le prolétariat n'est pas une classe homogène mais, comme le dit Audiganne 7 , une nation à côté de l'autre; une nation sans propriétaires où se côtoient une élite ouvrière et des vagabonds mi-travailleurs, mi-mendiants, une nation qui dans l'ensemble se sent étrangère et hostile à la classe bourgeoise. Cette bourgeoisie ne s'entoure d'aucune barrière juridique ou religieuse, elle constitue une classe ouverte dans l'espace et dans le temps. Malgré ses prétentions libérales, elle n'échappe pourtant pas plus qu'aucune société antérieure à la polarité traditionnelle entre les deux formes du sacré. Fondée sur la propriété qui est la source de ses droits, elle en fait, suivant une expression de Thiers, « une institution sainte et sacrée » 8 , issue de la nature elle-même, et un rempart mystique de sa civilisation. Toute atteinte à cette propriété, même la simple limitation par voie fiscale, lui paraît sacrilège et suscite une réaction qui explique les tragédies sociales du siècle. La revendication ouvrière, si modérée soit-elle, suscite sa crainte ou son hostilité parce qu'elle émane d'un milieu étranger à ses valeurs. Au lendemain des événements lyonnais, le Journal des Débats écrivait : « Les barbares qui menacent la société ne sont point au Caucase, ni dans les steppes de la Tartarie, ils sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières 9 • » Et plus tard, parlant des prolétaires anglais de 7. Le, Populations ouvriires de la France. 8. De la propri4t, . 9. 8 d~cmbre 1831. Cit~ par F. Rude : L, Mouv,mmt ouvrier d Lyon . •
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