Le Contrat Social - anno III - n. 4 - luglio 1959

192 LE CONTRAT SOCIAL .Les D.roits de l'homme ignorent l'idée d'association et les Constituants la repoussent comme contraire à la liberté et à la souveraineté nationale. La loi Le Chapelier qui interdit les « coalitions » bourgeoise sont des sociétés ouvertes dont les classes, ignorant les interdictions légales, ne dépendent que de la position économique plus ou moins changeante de leurs membres. ··· comme · attentatoires aux droits de l'homme est .pénétrée des concepts de Rousseau sur la « volonté · générale » : les « coalitions » comme les partis sont autant . de « volontés particulières » qui s'interposent entre le citoyen et l'État et peuv~nt fausser la « volonté générale». Il manque pourtant à ces thèmes abstraits le lien affectif, cher à Rousseau, qui ne peut guère exister que dans de petites sociétés fermées, des cités ou des tribus. La « volonté générale» se réduit en effet au vouloir despotique de l'État, auprès duquel « la société n'est que poussière » (Proudhon). Et ainsi l'ironie de l'histoire veut que la loi Le Chapelier, d'inspiration· rousseauiste, reproduise lès termes d'un édit royal de 1539 dirigé contre les coalitions ouvrières et perpétue l'absolutisme régalien dans les relations humaines. AVEC l'avènement du capitalisme industriel, le prolétariat moderne est devenu « la classe la plus nombreuse et la plus pauvre » dont parlent les saint-simoniens; sa condition politique et sociale est cependant antérieure à la grande industrie : elle procède des idées physiocratiques dont se réclamaient Constituants et Conventionnels sous la Révolution. La Déclaration des droits de l'homme érige la propriété en un droit naturel et imprescriptibl~, sans doute pour éviter qu'un monarque ou l'Etat ne se proclament, comme le fit Louis XIV, le maître des biens de ses sujets. Le principe de la propriété individuelle, avec ses trois attributs class_iques, d'usage, de jouissance et de disposition, est placé hors du droit positif, et fait ainsi figure de protecteur de l'indépendance du citoyen et des empiètements du pouvoir. Un individu dépourvu de ressources suffisantes n'a pas l'indépendance requise pour devenir citoyen. Telle est la justification théorique des constitutions censitaires de la France pendant près de soixante ans. Il est clair que la Charte de 1830 est bien davantage inspirée par la crainte du peuple et de son esprit républicain que par l'exégèse de Montesquieu, qui déniait aux ouvriers la possibilité ~ d'avoir une patrie_; mais chez les bourgeois révolutionnaires de 1791 ou 1795, il s'agissait plutôt de déterminer quelles classes étaient vraiment représentatives de la nation. En disciple intransigeant de l'école physiocratique, Dupont de Nemours limitait les classes actives de la nation aux propriétaires fonciers et aux fermiers ; il excluait donc du corps électoral non seulement les ouvriers, mais les industriels, les financiers et les négociants, assimilés à. des apatrides: -de par leur profession. Cette assimilation de la citoyenneté politique à la propriété terrienne ·trouve sa source et dans la tradition romaine, ·et daris- 1~ dogme des physiocrates. On peut sè demander si, aujourd'hui encore, ce concept ne survit pas plus ou moins consciemment dans l'esprit de parlementaires généralement classés à droite. En outre, le préjugé physiocratique ne prédisposait guère les législateurs révolutionnaires à prévoir une prochaine révolution industrielle qui ferait du prolétariat une force sociale sans rapport avec celle du XVIIIe siècle, dans laquelle ils ne voyaient qu'urie séquelle des temps médié.:. vaux, limitée à certains métiers·. Cependant là Révolution consolida un prolétariat au, sens romain -du terme, c'est-à-dire une classe de citoyens passifs exclus de la communauté ·politiqüe par l'insuffisance de leurs ressources matérielle~;. · BibliotecaGinoBianco Cette loi pouvait se justifiçr, du moins dans l'abstrait, si elle avait été appliquée à des citoyens participant activement à la formulation de la « volonté générale » ; m~s son but principal étant d'empêcher les ouvriers de se concerter, elle concernait une classe exclue de la société politique et par conséqueµt étrangère à la mythique « volonté générale» des Constituants. Ainsi, longtemps avant le développement industriel, la Révolution confirmée par les codes Napoléon 2 -constituait un prolétariat ouvrier, extérieu_r à.- .la communauté politique. Le droit de coalition lui était· interdit, celui d'organisation limité par tolérance ·aux seules sociétés de secours mutuels ; enfin ·.i.l était diminué civilement 3 dans ses rapports avec les employeurs. De telles dispositions devaient être à l'origine de la guerre civile presque permanente qui opposa au xrxe siècle le prolétariat et la bourgeoisie. Qu'elles aient eu un caractère néfaste, il suffit p<;>urs'en convaincre de comparer l'évolution respective . des prolétariats français et anglais. En France, de terribles convulsions sociales ou politiques ; en. Angleterre, après l'obtention des droits d'organisation et de coalition en 1825, l'agitation légale des·. syndicats ou du chartisme. Les deux insurrections lyonnaises, destinées à faire respecter une convention collective et à protester ~ontr~ ·1a dissolution d'une organisation mutualiste, ill1:1strent le caractère explosif des rapports entre le prolétariat français et la société bourgeoise. Le terme de « prolétaire », Blanqui le définit comme « la profession de 30 millions de Français qui vivent de leur travail et sont privés de . droits politiques »4 • La révolution de 1848 instaura _ces droits·· politiques · mais il fallut 2. Art. 414_,-415 et 416 du Code pénal. 3. Art. 1780 et 1781 du Code civil. -, · · -· ·4~-Réponse de ·Blanqui au tribunal qui lu1 demandait sa profession (Procès des Quinze, janvier 1832).

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