Le Contrat Social - anno III - n. 4 - luglio 1959

252 Du contrat social OLIVIER KRAFFT : La Politique de Jean-Jacques Rousseau.Aspect méconnus. Paris 1958, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 131 pp. BERGSON a écrit : «Rousseau est par excellence l'homme qu'on discute sans le connaître.» Il y a certainement du vrai dans cette assertion, si l'on songe aux simplifications outrageantes souvent imposées par une tradition scolaire. Il ne s'ensuit pas d'ailleurs que des simplifications en sens inverse restitueront mieux le sens d'une pensée qui n'a . jamais manqué de complexité. En y mêlant certaines de ses vues sur les problèmes contemporains, M. Krafft a entrepris de dégager quelques aspects méconnus des idées politiques de Jean-Jacques. C'est ainsi qu'il déclare, p. 120 : « Nous avons vu que le, système politique de Rousseau se caractérise par une double hostilité : antireprésentatif sur le plan législatif, antidémocratique sur le plan gouvernemental», ce qui rés11me au moins une partie de sa thèse. Prise à la lettre, la formule n'est sans doute pas inexacte mais elle demeure cependant équivoque, notamment dans la seconde partie. Il est reconnu que Rousseau n'est pas un ami du système représentatif ou parlementaire, qu'il condamne sans réserves dans le Contrat social (III, 1) : cc A l'instant qu'un peuple se donne des représentants, il n'est plus libre.» Ce qui l'est moins, c'est que dans l'essai sur Le Gouvernementde Pologne il a admis une conciliation, en faisant intervenir . la garantie du mandat impératif et M. Krafft a bien fait de le rappeler, p. 81, malgré les réserves dont il entoure l'interprétation. En un sens, mais en un sens ]imité, on peut faire de Rousseau un des pères de l'antiparlementarisme. Que signifie la formule «antidémocratique sur le plan gouvernemental » ? Elle se réf ère évidemment au texte célèbre dans lequel Rousseau dit : «Il est contre l'ordre naturel que le grand nombre gouverne (..•) S'il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement »( Contratsocial, III, 4). Pris à la lettre, le «gouvernement du peuple par le peuple », abolissant toute différence entre gouvernés et gouvernants, serait le nongouvernement, de telle sorte qu'on peut trouver non seulement une impossibilité physique mais encore une impossibilité logique à y voir une forme de gouvernement. La formule accréditée plus tard par Abraham Lincoln est théoriquement assez peu heureuse. Mais Rousseau ne confond pas la forme de l'État et celle du gouvernement puisque toute l'architecture du Contrat est fondée sur la distinction du «Souverain » et du « Prince », celui-ci étant subordonné à celui-là, dont il n'est que l'agent d'exécution. Il est inconcevable que le Prince se confonde avec «le grand. nombre » et il devient alors tout à fait banal de souhaiter que ce soit « le meilleur»· ou « les meilleurs» qui occupent ce rang, sans qu'il soit nécessaire Biblioteca Gino Bia co LE CONTRAT SOCIAL d'y voir une apologie du principe« aristocratique» pris dans un autre sens. Il demeure indubitable que Rousseau est le théoricien de la démocratie, si l'on entend par là le régime politique dans lequel la souveraineté appartient au peuple.· Il n'imagine pas d'autre régime politique légitime et tout au long du Contrat le dèspotisme est caractérisé comme le régime de fait dans lequel le Prince usurpe les ·prérogatives du Souverain. . Il est clair que pour Rousseau la puissance législative appartient au· Souverain, la puissance exécutive au Prince sous le contrôle du Souverain, la première ayant pour objet les décisions générales, la seconde les décisions particulières. Le Prince est responsable devant le Souverain et la question n'est pas, à ce point de vue, de savoir s'il y aura ou non un parlement puisque de toute façon il doit y avoir assemblée. Sur l'attitude de Rousseau envers l'« aristocratie », M. Krafft cite un texte ùéjà exh11mé par J. Lemaitre où il est question de «l'insupportable et odieux joug de vos égaux » ( Correspondance, éd. Petitain, II, 338). Mais il est clair, d'après le contexte qui préconise à l'usage des plébéiens mécontents une sorte de retraite sur le mont Sacré, que le « joug » ne devient «insupportable et odieux » qu'à partir du moment où certains des « égaux » prétendent d'une manière illégitime s'ériger en supérieurs. C'est le contraire d'une apologie du principe aristocratique. Dans quelle mesure la Constitution de Genève, au temps de Rousseau, était-elle effectivement «démocratique» et que signifiait au juste le titre de «citoyen» dont l'auteur aimait à se parer ? Cela est une autre question, tout à .fait différente de la précédente, M. Krafft rappelle que Rousseau disait avec malignité· que seul d'Alembert, qui s'était chargé de l'article Genève dans l' Encyclopédie, pouvait entendre sans erreur ce que c'était qu'un« citoyen». Il se trouve que ce titre désignait la première classe des résidants de la ville et de sa c.ampagne, dont seules les deux premières classes (il en existait cinq au total), représentant un vingtième de la population, étaient nanties · du droit de participer au Souverain. Le renseignement est am11sant mais il ne concerne pas la doctrine politique du Contrat, qui n'est certainement pas un ouvrage de sociologie descriptive. D'autres points concernant vraiment la doctrine sont plus généralement méconnus. Le souci de Rousseau est de séparer exactement les prérogatives de l'exécutif de celles du législatif, en maintenant la subordination du premier au second. Sâ doctrine doit. être distinguée de celle de Montesquieu mais elle ne peut pas lui être entièremènt opposée : le « citoyen » ne saurait admettre le morcellement de la souveraineté, ~'-! égard au"sens très précis qu'il donne à ce terme, ~ais il repousse avec une égale énergie la confusion des pouvoirs. Les prérogatives qu'il laisse au Prince demeurent assez larges puisqu'elles vont

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