1'ev11ekistori'lue et critiqi,e Jes faits et des idées JUILLET 1959 Vol. III, No 4 'I LA NOTION DE PROLÉTARIAT par Michel Collinet EPUIS plus de cent ans, les mouvements socialistes et révolutionnaires ont utilisé le concept de « prolétariat », concept sociologique doué d'une puissante charge affective et évocateur de mystique révolutionnaire. Dans un texte célèbre, écrit sous l'influence du socialisme romantique français, Marx définissait le prolétariat comme « la décomposition de la société en tant que classe particulière », surtout comme « la décomposition aiguë de la classe moyenne», et l'assimilait à « une sphère [ayant] un caractère universel par ses souffrances universelles (...) en un mot la perte de l'homme » 1 • Et il concluait que l'émancipation du prolétariat serait celle de toute la société, le « regain complet de l'homme ». Dans cet esprit le prolétariat cessait d'être une classe malheureuse dont le réformateur devait chercher la disparition dans une société plus équilibrée ; il avait une mission historique, celle de devenir le Christ social sauvant l'humanité de la chute provoquée par le capitalisme industriel. Mais il n'était pas nécessaire d'adopter le marxisme pour constater que la condition prolétarienne s'identifie à la misère humaine des temps modernes. Toutes les écoles socialistes l'ont fait, y compris le socialisme chrétien. L'idée 1. Contribution à la critique de la pJ,i/o,ophi, du droit de He11/. Biblioteca Gino Bianco de «prolétariat» s'est donc entourée d'une aura sacrée où se symbolisait le combat d'une humanité malheureuse pour une vie meilleure. Elle ..déborde largement la classe ouvrière avec qui elle s'est historiquement confondue au temps de la révolution industrielle. De ce fait elle ne tient pas compte des métamorphoses de cette classe depuis cent ans et survit comme un mythe exprimant la solidarité des travailleurs, en dépit de leurs distinctions ou de leurs oppositions. De tout temps le « prolétariat » a désigné une classe sociale pauvre, sinon la plus pauvre, qui en vertu de sa pauvreté même est exclue de la société placée au-dessus d'elle. Chacun sait qu'il remonte à la royauté étrusque, lorsque Servius Tullius organisa la plèbe en centuries selon six catégories déterminées par le degré de richesse. Les cinq premières, payant l'impôt, constituèrent l'armée citoyenne et participèrent à la vie politique dans les comices centuriates. La sixième, celle des prolétaires, fut exclue de l'armée et des comices en raison de sa pauvreté; elle devint synonyme de honte sociale et, au dire des annalistes, rassembla la lie de la société. Cette exclusion du prolétariat n'est pas assimilable à celle des nombreuses classes qui, dans l'histoire, se sont situées en dehors des sociétés fermées, comme la cité médiévale et la société féodale où l'admission résultait soit d'une cooptation, soit d'un droit héréditaire. La plèbe romaine et la société
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