A. PATRIn'est plus qu'indirecte, l'évolution est encore plus caractéristique : la doctrine de la liberté positive n'a plus rien de commun avec le libéralisme puisque la liberté rationnelle s'identifie à la conscience de la nécessité. On connaît de reste les avatars de cette conception lorsqu'on passe à ce qu'il est convenu d'appeler de nos Jours « marxisme » ou « léninisme » : la liberté conforme à la raison s'identifie à l'acceptation du « processus historique » qui conduit l'humanité vers ses fins nécessaires. Sous les roues du char, les rebelles doivent être écrasés. Nous sommes très loin de l' « autonomie morale » selon Kant • mais Commenten un plombvil l'or pur s'est-il changé ? Par un biais, on est parvenu à une réhabilitation de la contrainte extérieure qui paraissait répudiée dans le principe. Kant avait très fermement réprouvé le principe selon lequel il serait légitime de faire le bonheur de quelqu'un malgré lui (cité, p. 22). Mais la division de l'être humain en partie supérieure ou raisonnable et partie inférieure sensible ou animale autorise l'infraction puisque l'autorité contraignante, même si elle intervient de l'extérieur, s'identifie à la partie raisonnable, qui est de nature supra-individuelle en tout état de cause. En contraignant quelqu'un à faire ce qu'il ne veut pas, j'attribue la résistance à la partie inférieure indigne de considération et j'estime ne lui imposer aucune violence puisque je ne le so11mets pas à une autre loi que celle qu'il se serait donnée à lui-même s'il avait écouté la voix de la raison. Tout cela se déduit fort correctement à partir du moment où l'on admet le principe fichtéen : « 11 n'y a pas de droits contre la raison. » Si un individu ou une collectivité paraissent agir contre la raison il devient légitime de les ·contraindre. Marx n'avait jamais assez de sarcasmes contre cette conception postkantienne lorsqu'il songeait à son application éventuelle aux relations de la classe dirigeante avec les classes dirigées, mais ses disciples - ou prétendus tels - ont su habilement la retrouver pour la justification de leurs agissements. Il leur 1D1porte assez peu de se trouver ainsi philosophiquement en accord avec ceux qu'ils consiâèrent d'autre part comme des réactionnaires. L'e~lique Quanta cura, qui précédait le Syl , réprouvant la liberté négative, la stigmatisait comme «liberté de perdition». Un théologien «libéral » aurait pu observer que l'exemple venait d'En-Haut. Il était loisible au ToutPuissant de prévenir le péché de nos premiers pères en leur ôtant la liberté de l'accomplir. Faut-il incrimin~r la sagesse du Créateur, r!riaan en la circonstance de la liberté négative ? nouveaux théologiens «marxistes» n'auraient cure de l'exemple, puisque leur entreprise consiste précisément à réformer une telle sagesse *. • Ce diveloppement • th&>logique • est personnel à l'auteur de la pr&ente &\ide et ne saurait enpaer la respoou'>iliœ d'I. Berlin. Biblioteca Gino Bianco 245 On dira que le tenant de la liberté négative admet lui aussi l'intervention légitime de la contrainte extérieure puisqu'il ne conçoit pas une liberté illimitée. Le théoricien de la liberté négative continue à appeler la liberté « liberté » et la contrainte « contrainte », tandis que la doctrine de _la liberté positive permet d'appeler «liberté» un certain genre de contrainte. La doctrine de la liberté négative ne favorise pas· le retournement « dialectique » de la nécessité en liberté, encore moins le retournement inverse, particulièrement en honneur de nos jours. Un défenseur du goUvernement despotique comme Hobbes lui-même demeure un des pères de la doctrine de la liberté négative parce qu'il convient franchement que l'intervention de la loi est toujours identique à l'imposition d'une « chaîne » (cité, p. 8, note 2). La différence subsiste donc, elle n'est pas purement théorique. IL FAUT savoir gré à I. Berlin de son effort pour distinguer rigoureusement deux concepts tandis qu'on utilise couramment un seul mot. La philosophie, politique ou autre, ne consiste peutêtre en rien d'autre qu'à chercher ce que parler veut dire, malgré l'abus fréquent d'un vocabulaire pseudo-technique chez ceux qui prétendent être sages plutôt qu'amis de la sagesse. Cette conception de l'élucidation que l'on attribue parfois au seul positivisme logique de nos jours était déjà en fait celle de Socrate. Après ces remarquables analyses, plusieurs questions demeurent. L'auteur n'est pas entièrement clair sur la question de savoir s'il admet ou non un troisième sens du mot «liberté». La « liberté » est revendiquée, particulièrement de nos jours, au nom de l'appartenance de l'individu à un groupe : nation, classe, race même, appartenance qui fonde sa particularité par rapport à d'autres hommes en même temps qu'elle l'unit à ceux qu'il considère comme les «siens » en raison de leurs affinités. La forme de cette revendication est l'exigence d'être« reconnu» dans cette particularité, à l'échelon de la communauté. On pourrait penser qu'il s'agit d'une variante de la liberté positive ~ ou droit d'être son propre maître - trans.posée au niveau collectif. Mais le caractère particulariste . de la revendication n'autorise pas à la confondre avec celle qui a trait à la liberté selon la raison, puisque le concept de la « raison » a toujours un caractère universaliste. De là vient que la revendication particulariste de la liberté soit souvent sti~atisée comme « déraisonnable », ce qui panut la rapprocher de la liberté négative ou liberté de fatre ce que l'on veut, que l'on ait raison ou non. Cependant il n'est nullement évident, ni logiquement, ni en raison des faits, que la conquête de la liberté de former avec les siens une communauté séparée implique la réalisation d'un plus haut
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