Le Contrat Social - anno III - n. 4 - luglio 1959

A. BBNNIGSBN la population musulmane, y compris les intellectuels comm11nistes. Si l'attachement à l'islam n'est pas apparent, celui à la culture traditionnelle, fortement imprégnée de sentiment religieux, est flagrant. La querelle entre Russes et allogènes qui a éclaté en 1952 à propos .du patrimoine national des Turcs d'Asie centrale en est une bonne illustration. Dans leur désir d'épurer le patrimoine national des peuples musulmans de ses éléments « réactionnaires » (cléricaux, féodaux), les autorités russes se sont attaquées à l'ensemble des épopées nationales des peuples turcs. Les intellectuels indigènes furent conscients du péril : il s'agissait pratiquement de la liquidation de toute la culture nationale et de son remplacement par ce que les autorités soviétiques appellent par euphémisme la culture soviétique, en fait la culture russe. Aussi la résistance fut-elle acharnée, surtout en Kirghizie où la condamnation de l'épopée nationale Manas divisa profondément les miJieux 11niversitaires mais aussi le P. C. local. On vit les communistes kirghizes dénoncer le « chauvinisme impérialiste » de leurs camarades russes alors que ces derniers répondaient par l'accusation de « nationalisme bourgeois» 20. La situation est paradoxale. Ce sont les nouveaux cadres communistes qui, dans les républiques mus11lmanes, prennent au nom du « marxismeléninisme » la défense du patrimoine culturel national. Si belles que soient les épopées des peuples turcs, elles sont peu faites pour consolider l' « amitié prolétarienne des peuples socialistes». Selon l'optique marxiste ces œuvres sont d'inspiration nettement « féodale » et « cléricale» et pourtant les intellectuels allogènes, marxistes authentiques, les ont victorieusement défendues, souvent avec héroïsme. N'est-ce pas la preuve que le sentiment national et le loyalisme envers la culture nationale turque l' emportent chez eux sur la fidélité au marxisme ? Cette fidélité va plus loin encore. L'intellectuel mus111man marxiste n'est pas un renégat, il n'a pas oublié qu'il est lié à ses frères par la culture, la langue et les coutumes. 11 se considère 20. Voir à ce sujet notre étude dans l'Afrique et l'Asie, 2• trimestre 19s2. . Biblioteca Gino Bianco 235 volontiers comme le représentant et le défenseur de son peuple, face à la pression constante des Russes. * ,,. ,,. QUELLES CONCLUSIONS tirer de cette brève analyse ? Tout d'abord que le «nationalisme» des peuples musulmans n'a pas disparu avec l'avènement de la société socialiste, contrairement aux espoirs des dirigeants soviétiques. Ce nationalisme est même devenu plus conscient et plus vif depuis que la jeune intelligentsia a remplacé la noblesse prérévolutionnaire, qu'elle fût religieuse ou féodale. L'intellectuel musulman, même s'il paraît à première vue « désislamisé », ne peut être assimilé aux Russes et les efforts des auto- . , , . . ., . rites pour creer un patriotisme sov1et1que supranational n'ont eu aucun succès. Au contraire, suivant un processus .fréquent dans les pays « coloniaux », l'intellectuel de l'Asie centrale ou du Caucase fait J;llaintenant figure de représentant de son peuple et sa conscience nationale est à la fois plus aiguë et plus rationnelle ; en fin de compte, il est plus hostile que tout autre à l'influence russe. Néanmoins, l'intellectuel musulman sait bien que l'indépendance des terres musulmanes avant la conquête russe, ou celle de l'émirat de Boukhara avant 1917, n'était qu'un trompe-l'œil en raison de l'absence d'une élite capable de diriger le pays. Aujourd'hui cette élite existe et chaque année qui passe rapproche les mus111mans de l'URSS de l'indépendance, c'est-à-dire du moment où leurs pays respectifs seront soumis au seul contrôle des « nationaux ». De tout cela, les intellectuels musulmans sont conscients, mais ils savent aussi que les Russes n'abdiqueront jamais de leur plein gré le rôle de « frère aîné des peuples soviétiques». En attendant, ils marchent la main dans la main avec les Russes sur la route qui devrait les mener à l'indépendance, et cette route promet d'être encore longue.- Pour le moment, les points de friction se limitent à quelques domaines essentiels pour la défense de leur intégrité nationale : l'orage qui éclatera quand les jeunes intellectuels mus111mans exigeront l'autonomie politique et culturelle n'est pas pour demain. A. BENNIGSEN. •

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