Le Contrat Social - anno III - n. 4 - luglio 1959

234 L'essor de l'intelligentsia musulmane est soigneusement contrôlé par les autorités communistes qui veillent à ce que l'indépendance des républiques musulmanes ne dépasse pas certaines limites au-delà desquelles pourraient apparaître des velléités séparatistes. Ce contrôle, peu sensible encore dans les domaines administratifs et économiques, apparaît au grand jour dans le domaine de ce que les autorités soviétiques appellent la « culture nationale», soigneusement épurée, sans attaches avec la véritable tradition musulmane et contrainte de copier servilement la culture russ.e. Seuls sont encouragés les aspects folkloriques -et la culture nationale ne peut s'exprimer que là où elle est sans portée véritable, figée dans le passé et vidée de son contenu vivant. Comportement de l'intellectuel musulman . Les efforts des autorités soviétiques ont certainement réussi à faire de l'intellectuel musulman un « socialiste » et un technocrate qui se considère comme «Européen», qui méprise le passé récent et les «Asiatiques» étrangers et qui s'oppose irréductiblement au régime capitaliste et clérical d'avant 1917. Il y a là, en apparence, une rupture profonde avec le passé qui justifie les espoirs des autorités. Mais la situation est plus complexe. Pour savoir si cet intellectuel est un véritable homosovieticus, russifié et désislamisé, subordonnant les intérêts de son groupe national aux exigences prolétariennes, il faut analyser le comportement des intellectuels musulmans devant deux problèmes essentiels : relations avec les Russes, attitude envers l'islam et la culture nationale. L'intellectuel musulman est-il russifié ? En apparence, il l'est et tous les observateurs superficiels sont d'accord sur ce point. C'est un technicien du xxe siècle, très fier des réussites du régime et reconnaissant au peuple russe, «frère aîné» des peuples soviétiques, de la formation qu'il a reçue, ce qui le rend extérieurement plus proche des Russes et des Occidentaux que de ses frères asiatiques. Cependant, malgré sa connaissance plus ou moins parfaite de la langue russe, il n'a pas oublié sa langue nationale. Il est bilingue et n'emploie jamais le russe en dehors de son travail : il n'y a pas assimilation linguistique non plus qu'assimilation culturelle 18 • 18. Le moindre relâchement idéologique de la pression des autorités est suivi dans les républiques musulmanes par des mesures dont la signification réelle ne peut être que le désir de se libérer de la tutelle russe. Citons, à titre d'exemple, le décret du 21 août 1956 du Soviet suprême d'Azerbaïdjan proclamant que la langue azeri serait désormais la seule langue officielle (à l'exclusion du russe). Cette mesure fut saluée, s'il faut en croire le journal local Bakinski Rabotchi (28 et 26 aoftt 1956), par des « mouvements d'enthousiasme» qui avaient une nett_e· saveur « nationaliste » sinon ouvertement antirusse. Biblioteca Gino Bianco L'BXPSRIBNCB COMMUNISTE Mais il existe un test plus sûr pour ·juger du degré de russification de l'intelligentsia musulmane : le brassage ethnique entre ·Russes et allogènes. Malgré l'afflux massif des Russes vers les républiques musulmanes, le vieux rêve des autorités russes de voir les deux communautés se fondre en une seule ne s'est pas réalisé. Russes et musulmans vivent côte à côte, tout en conservant leur caractère propre. Totale au bas de l'échelle sociale, la ségrégation reste sensible dans l'Université et dans l'administration. De l'aveu même de la presse soviétique les mariages mixtes sont rarissimes. Avant la révolution, l'union_entre une fille russe et un musulman, bien que rare, était possible, puisque -le droit coranique ne l'interdit -pas ; aujourd'hui, c'est un phénomène exceptionnel. Nous nous souvenons de la déclaration que nous fit un intellectuel musulman réfugié, ancien komsomol et membre du parti, totalement désislamisé et en apparence russifié : « Jamais nous n'accepterons d'épouser une kafire » (non-musulmane). Enfin, comme avant la révolution, le mariage d'une ffille musulmane avec un Russe est considéré comme une insulte à la famille et à la nation. L'intellectuel musulman est-il désislamisé · ? 11 est certain qu'il n'est plus musulman dans le sens courant du terme car il ne pratique plus, mais ce n'est pas non plus un athée véritable; c'est un indifférent qui ignore ou a oublié l'islam. 11 suffit pour s'en convaincre de confronter des témoignages d'origines diverses : ceux de la presse soviétique qui déplore que l'indifférence n'aille jamais jusqu'à· une franche hostilité à l'égard de la religion ; ceux des voyageurs qui ont vu des foules se presser dans les mosquées, mais des foules de vieillards et de pauvres 19. -L'intelligentsia indigène est indifférente au dogme, à la foi proprement dite. En même temps elle reste attachée à un ensemble de coutumes et de traditions qui constituent un mode de vie proprement musulman. Peut-on en douter lorsqu'on voit des intellectuels indigènes totalement désislamisés pratiquer la polygamie, observer l'attitude .ancestrale à l'égard des femmes en leur imposant le port du voile et la claustration ? La conscience d'appartenir à l'Oumma, la communauté des croyants opposée au monde des infidèles, est très fortement ancrée. Ce sentiment n'est pas seulement platonique ; la pratique de la circoncision est observée par la quasi-totalité de 19. Le cuite musulman n'est plus observé en URSS. Des cinq bases de la foi, le zakat est interdit ; le pèlerinage annuel à La Mecque est autorisé depuis la guerre, mais seuls une vingtaine de pèlerins se rendent aux lieux saints ; la quintuple prière quotidienne n'est observée que par les gens âgés ; le jeûne semble encore assez fidèlement observé dans les campagnes ; la cinquième base, la shahada, profession de foi, est un acte purement intérieur. Enfin, le nombre de mosquées ouvertes au culte est dérisoire : selon les ren~ seignements fournis par le mufti de Tachkent, il y a 60 mosquées en Ouzbékistan et 27 au Kazakhstan. ' .

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