Y. LÉVY adeptes du « fanatisme » - entendez le catholi- • • A • cisme romain - revaient ouvertement de prendre leur revanche. Les royalistes s'affichaient. Babeuf va faire revivre l'esprit de Robespierre. La confusion grandissante n'incline cependant personne à réviser les fondements de la pensée politique officielle. Le couple célèbre qui commence alors à se D'lanifester dans le domaine de la théorie politique ne fait, à bien voir les choses, que paraphraser brillamment le discours de Boissy d'Anglas : Benjamin Constant et Mme de Staël combattent les passions, combattent les partis et, contre l'anarchie et le despotisme, demandent à tous les modérés de se rallier au gouvernement. 11 ne s'agit pas de former un parti du centre - tout parti, fruit des passions, est incarnation du mal - mais de rassembler les esprits sages et éclairés contre la folie des extrémistes. Tous leurs écrits de cette époque sont imprégnés de cette façon de voir. En 1796, Mme de Staël déplore les « fureurs de l'esprit de parti qui déchirent la France» 4 • « L'esprit de parti, dit-elle (p. 217), doit être de toutes les passions celle qui s'oppose le plus au développement de la pensée.» Dans un autre ouvrage écrit vers la même époque, elle s'attache à distinguer la démocratie de la république - démocratie ayant alors sous sa plume une résonance qu'auront plus tard les mots socialisme ou communisme - et elle énonce clairement que tout gouvernement sain est aristocratique : « Le gouvernement affreux, le gouvernement du crime, c'est la puissance des hommes sans propriétés; le règne de Robespierre en est la conséquence immédiate; et le seul ressort d'une démagogie, c'est la mort. Mais toutes les constitutions sociales sont des républiques aristocratiques 5 • » Elle prononce aussi (p. 114) que « les trois questions principales de toutes les constitutions du monde » sont « la division du corps législatif, l'indépendance du pouvoir exécutif, et avant tout la condition de propriété». Et c'est au nom de la défense de la propriété qu'elle fait effort pour concilier « les républicains amis de l'ordre » avec « les royalistes amis de la liberté » : Comme les non-propriétaires, dans ce moment, semblent les plus acharnés contre la royauté, les républicains sont fort tentés de s'en appuyer; mais ils ne réfléchissent pas que ce n'est pas pour telle ou telle forme de gouvernement qu'ils s'agitent, mais contre un ordre quelconque, protecteur de la propriété. Les idées politiques ne passionnent point des hommes 4. De l'influence des passions sur le bonheur des individus et de, nations, Lausanne 1796, p. 8. Tout le chapitre VII de cet ouvrage (pp. 200-230) est consacré à la peinture de • l'esprit de parti ». S· R,flexiom ,ur la paix int,rieure, ouvrage posthume krit pendant la discussion de la Constitution et publié en 1820. Cité ici d'après l'édition des ŒutJre,, Paris 1838, Lefèvre, t. I, pp. 105-106. Dans cette citation, comme plus haut dans celle de Boissy d'Anglas, « social » désign cc qui est conforme à la civilisation, aux lumi~rcs, par opposition à ce qui relève de la nature brute. Biblioteca Gino Bianco 219 tout-à-fait hors d'état de les comprendre, et c'est toujours à l'aide d'un intérêt qu'on leur a donné une opinion. (...) L'égalité des droits politiques est beaucoup plus redoutable que l'état de nature (pp. 115-116). C'est, on le voit, en reprenant les thèmes de Boissy d'Anglas, et parfois ses termes - elle vient sans doute de les lire dans le Moniteur - que Mme de Staël convie les monarchistes constitutionnels à se rallier au nouveau régime. Benjamin Constant les y convie également. Son premier ouvrage imprimé s'intitule précisément De la force du gouvernement actuel de la France et de la nécessitéde s'y rallier. C'est un opuscule où il use d'arguments très caractéristiques de sa personnalité, mais auquel il n'y a pas lieu de s'arrêter ici car les problèmes gouvernementaux y sont abordés sous un angle très différent de celui qui nous intéresse. En revanche, son second opuscule, Des réactions politiques, expri'.me avec outrance le platonisme constitutionnel du temps. C'est, écrit-il, par une erreur dont la révolution est la cause que le gouvernement s'est persuadé qu'il devait avoir un parti pour lui. Toutes les factions cherchent à accréditer cette erreur (...) Comme elles sentent bien que la majorité dont elles se vantent, ne peut jamais être qu'ondoyante et passagère, elles se gardent de distinguer cette majorité d'un jour de la majorité durable (...) Chacun voudra faire de son intérêt le centre du gouvernement (...) Il faut qu'immobile il laisse s'agiter, se briser à ses pieds tous les intérêts particuliers, tous les intérêts de classe, que son immobilité les force à l'entourer, à s'arranger, chacun de la manière la plus tolérable, et à concourir, quelquefois malgré eux, au rétablissement du calme, et à l'organisation du nouveau pacte social( ...) Il faut que ce qui est passionné, personnel et transitoire, se rattache et se soumette à ce qui est abstrait, impassible et immuable 6 • Le régime des partis est le royaume des passions, mais avec le progrès des lumières viendra le règne de l'Esprit. L'abstrait doit se soumettre le concret, l'intemporel doit régner sur le temporel. La conclusion annonce que les passions seront vaincues par la science, par « des calculs politiques rapprochés des sciences exactes par leur précision » (pp. I oo-1 o 1) : Nous voyons les passions se battre en retraite, furieuses, sanguinaires, féroces, victorieuses souvent contre les individus, mais toujours vaincues par les vérités. Elles reculent, en frémissant, devant chaque nouvelle barrière que leur pose ce système progressif et régulier, dont le complettement graduel est la volonté suprême de la nature, l'effet inévitable de la force des choses, et l'espoir consolant des amis de la liberté. 6. Des r,aêtions politiques, an V (1797), pp. 13-16. La phrase sur la majorité d'un jour et la majorité durable vient de Mme de Staël, qui écrivait dans les R,fl,xions cit~es (p. 117): « Il me semble que l'on confond toujours la majorit6 du moment avec la majorit6 durable. •
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