• P. BARTON dans l'appareil en plaçant à certains postes d'importance capitale des ho~es qui, tels les escl~ves et les eunuques, leur doivent tout et ne sera1ent rien sans la faveur du despote ; dans d'autres cas, ils introduisent dans l'appareil des éléments socialement étrangers: roturiers, prêtres, etc. 14 • Autour du noyau gravitent les éléments les plus variés : des bureaucrates, juges, policiers, militaires, cadres des entreprises . publiques et organisateurs de toutes sortes, jusqu'aux intellectuels au service du pouvoir. Cette partie de l'appareil, partie si l'on peut dire rattachée, var~e assez considérablement avec les régimes. Mais les différences que l'on peut constater à ce propos entre despotisme et totalitarisme ne sont pas plus importantes que celles qui existent entr~ diverses espèces de ce dernier. Par exemple, s1 les artistes et les érudits n'assument pas exactement les mêmes fonctions dans les régimes despotiques que les intellectuels inféodés au totalitarisme, ceux-ci à leur tour ne sont pas utilisés de façon identique par les régimes communistes et fascistes. L'essentiel consiste dans le rattachement des uns et des autres à l'appareil. Et, souvent, on trouve dans cette partie de l'appareil despotique ?es élé~ents q,ui ~essem~lent à maints égards a certaines categor1es sociales de notre temps. C'est le cas notamment des gros négociants qui, opérant ~ci avec leurs, prop_re~ capitaux, là avec ceux de 1 État, servent a celu1-c1 d'agents commerciaux 15 • A la différence des tchékistes, SS, eunuques ou esclaves hissés aux postes de responsabilité, tous ces éléments rattachés n'ont évidemment aucune raison de soutenir la clique au pouvoir. Or celle-ci peut leur faire confiance t~t que l'appareil fonctionne normalement. Cela demontre la puissance intrinsèque de l'appareil et !'insignifiance de l'homm: ,entré dans . l' eng~enage. Toutes les révoltes qw eclatent par mterrmttence dans l'empire soviétique depuis 1953 ont d'ailleurs révélé que parmi ceux qui, en temps ~ormal, participent à l'oppression de ~a population . en qualité de membres de l'appareil, les adversa1res du régime établi sont en majorité. En examinant le principe qui fait agir le_gouver_nement despotique, les « pass1o~s hu~ames qui le font mouvoir », Montesqweu di~ : « Comme il faut de la vertu dans une république, et dans une monarchie de l'honneur, il faut de la crainte dans un gouvernement despoti9ue : p~ur la vertu, ell_e n'y est point nécessa1re, et 1 honneur y sera1t dangereux 18 • » Il en va de même pour le totali- • tansme. Les correspondances entre appareil totalitaire et appareil despotique s'arrêtent là. Dès qu'on 14. Karl A. Wittfogel, op. cit., pp. 346-365. 15. Ibid., pp. 238-270. 16. B,prit d,1 !oil, livre II, ch. IX. Biblioteca Gino Bianco 215 aborde les ambitions qu'ils nourrissent ~ l'égard de la communauté, ils se révèlent essenttellement différents l'un de l'autre. LA VOCATION fondamentale de l'appareil totalitaire est de transformer dans son ensemble la société sur laquelle il s'est greffé et même, en dernière instance, de l'absorber entièrement. Le fascisme italien, qui fut pourtant bien plus modéré à cet égard que le national-socialisme ou le communisme, formulait ainsi son but : « Si l'État doit vraiment représenter la nation, il faut que le peuple qui constitue la nation de~ienne partie de l'État. Comment peut-on y arnver ? Voici la réponse fasciste : par l'organisation du peuple en groupes p~ofessionnels (...) Aucun groupe en dehors de l'Etat, al!cun groupe contre l'État, tous les groupes dans l'Etat» 17 • Et Mussolini de déclarer : Ainsi donc, pour les fascistes, tout est dan$ l'État et rien d'humain ou de spirituel n'existe - et1 à plus forte raison, n'a de valeur - en dehors de l'Etat. En ce sens le fascisme est totalitaire ; en tant qu'assemblage et unité de toutes les valeurs, l'État fasciste interprète la vie entière du peuple et en assure l'épanouissement et le renforcement. Pas d'individus ni groupes (partis politiques, associations, syndicats, classes) à l'écart de l'État 18 ! Cependant la pratique est bien plus compliquée que les intentions. Celles-ci, en effet, se heurtent inévitablement aux réalités sociales. Le problème a été clairement défini par Friedrich. L'idéologie totalitaire, fait-il observer, est par sa nature même une utopie puisqu'elle « vise à détruire totalement la société existante et à la réédifier totalement». Or, en accédant au pouvoir, tout parti professant une utopie doit adapter son programme à la réalité. Les partis totalitaires ne peuvent pas se soustraire à cette règle. Le monopole du pouvoir lui-même ne peut les en préserver ; tout au plus permet-il d' « entretenir l'opinion que l'idéologie demeure. in~hangée e~ que l'~daptation n'est que provisoire» 19 • L appareil ne renonce pas pour autant à sa prétention de refaire la communauté d'après un modèle préconçu. Mais, en se transformant, le but final s'éloigne de plus en plus ; le processus devient de ce fait perpétuel. On en arrive à des bouleversements dont le principal résultat est la nécessité de bouleversements nouveaux . 17. The Fascist Bra, Rome 1939, Fascist Confederation of Industralists. 18. Novissina-Roma, 1941, p. 51. 19. Carl J. Fri drich : Totalitaer Diktatur, Stuttgart 1957, W. Kohlhamm r V rlag, pp. 27-28. •
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