214 et dotée de la cohésion et de la continuité dans le temps qui dans d'autres sociétés caractérisent les classes, en particulier les classes dirigeantes 5 • De plus, les principes déterminant sa structure et son modus faciendi sont à maints égards les mêmes dans les deux systèmes. En premier lieu, l'appareil est exempt de tout contrôle social et, à l'intérieur même de l'appareil, le pouvoir discrétionnaire est rigoureusement centralisé, ainsi que cela fut formulé de façon lapidaire par la devise hitlérienne : « Autorité de chaque chef vers le bas et responsabilité vers le haut »6 • Il est vrai que l'appareil communiste se réclame à ce propos d'un principe particulier : centralisme démocratique. Mais en réalité celuici n'a rien de démocratique. 11 se ramène grosso modo à ceci : autant le pouvoir discrétionnaire est centralisé, autant il faut décentraliser l'exécution des décisions. L'esprit de hiérarchie lui-même, qu'une organisation ainsi aménagée doit forcément engendrer, est censé se plier aux impératifs du com- · mandement et de la surveillance par en haut. « Pour obtenir la plus grande centralisation possible_des activités du Parti, proclama le 111° congrès du Komintern, il n'est pas utile de disséquer la direction en une hiérarchie de nombreux échelons entièrement surbordonnés les uns aux autres »7 • Quant à l'expériencehitlérienne, Hannah Arendt a fait cette observation pertinente : Un aménagement hiérarchique de la transmission des ordres signifie que le pouvoir de celui qui commande dépend de la hiérarchie de commandement dont il fait partie. Toute hiérarchie, fût-elle dirigée de la façon la plus autoritaire, et toute communication intermédiaire des ordres, fussent-ils prodigués avec une souveraineté dictatoriale extrême, tendraient à stabiliser le pouvoir total du chef d'un mouvement totalitaire, donc à le limiter 8 • Le pouvoir central ne se lasse jamais d'éliminer les intermédiaires inutiles et se réserve en outre la possibilité d'interventions directes dans le fonctionnement de n'importe quel rouage de l'appareil. On affirmait en Union soviétique dans les années 30 qu'il n'y avait jamais plus de trois intermédiaires entre Staline et le citoyen le plus modeste : l'ouvrier connaissait généralement le directeur de son usine, celui-ci connaissait le chef de l'administration· principale de son industrie, lequel connaissait le ministre et ce dernier était en rapport direct avec Staline; 5. Cf. notre article « Du despotisme » ( Contrat social mai 1959). 6. Cf. Walther Hofer : Der N ationalsozialismus. Dokumente 1933-1945, Francfort· 1957, Fischer Buecherei, p. 83. 7. Thesen und Resolutionen des III. Weltkongresses der kommunistischen Internationale, Hambourg 1921, Verlag der Jçpmmunistischen Internationale, p. 133. 8. Ham1-ah Arendt : Elemente . und Urspruenge totaler Herrschaft, Fr;mçfort 195s1 Ewopaei~çbç VerlagsaQ~ajt~ . pp. s18-579, Biblioteca Gino Bianco LB CONTRAT SOCIAL il en allait de même dans l'articulation du Parti 9 • Même préoccupation chez les nazis, pour qui « la '' loi suprême '' du pouvoir total consiste dans la ''volonté'' dynamique et inlassable du chef, non pas dans ses ordres, dont on pourrait déterminer l'autorité» 10 • Les maîtres des régimes despotiques tiennent eux aussi à éviter la voie hiérarchique chaque (ois que surgissent des situations appelant une démarche promp~e et énergique du pouvoir suprême. Cela se man1feste d'une manière particulièrement frappante par leur souci d'établir des systèmes prodigieux de locomotion et de communication rapides, qu'ils utilisent pour espionner non seulement la population, mais encore - et peut-être surtout - leurs propres fonctionnaires 11 • La seconde caractéristique commune des appareils despotiques et totalitaires est leur hétérogénéité. Ils se composent tous de deux éléments nettement distincts : un petit noyau investi de tout le pouvoir et, autour de lui, une gamme de groupes divers dont il se sert. Çieorge F. Kennan a vu juste en déclarant : « L' '' Etat '' totalitaire - si tant est qu'une telle chose existe - est composé, me ~ semble-t-il, de la clique installée au sommet du parti et de l'appareil de la police secrète 12 • >t Pour les régimes qui se disent communistes, ce· diagnostic fut confirmé par l'insurrection hongroise d'octobre 1956 qui dépouilla l'appareil de toutes ses parties annexes et fit apparaître au grand jour le noyau véritable. A la lumière de cette expérience une seule modification à la formule citée : plutôt que de police secrète, il s'agit de personnes qui se sont à ce point compromises au service de la clique dirigeante qu'elles lui demeurent liées à la vie, à la mort. C'est là une modification mineure, mais non sans importance. Il en ressort que le noyau à toute épreuve englobe lui-même des éléments qui ne sont en fait que des instruments. On en trouve la contre: partie nationale-socialiste dans les SS : ceux-et se virent confier tous les leviers de commande· dans la police ; ils furent chargés de détruire, surtout au moyen de leur Verfuegungstruppe, l'esprit qe corps animant les cadres de l'armée; ils furent placés aux positions-clés dans les « organisations de masse», dans l'industrie, l'administration, etc. 13 • Que cette fonction ait été conférée par Hitler à l' « élite de la race » est une véritable ironie de l'histoire. Car, longtemps avant l'apparition du totalitarisme, elle fut assumée, en maints pays soumis au despotisme, par les eunuques. D'une manière plus générale, les maîtres des régimes despotiques entretiennent un appareil 9. Alexandre Weissberg : L'Accusé, Paris 1953, Fasquelle., p. 485. 10. Hannah· Arendt, op. cit., p. 579. 11. Cf. Karl A. Wittfogel, op. cit., pp. 54-59. 12. Totalitarianism, édité par Carl J. Friedrich, p. 83. ,13. Walther Hofer, op. cit:;.. pp. 78-80 et 107-113.
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