( • DESPOTISME ET TOTALITARISME .par Paul Barton ES SCIENCES SOCIALES n'abordent visiblement qu'à regret l'étude du système totalitaire. 1..-.11 Au milieu d'une surproduction littéraire qui menace d'ensevelir la pensée sous le poids du papier imprimé, les écrits traitant du totalitarisme se comptent sur les doigts ou à peu près. La difficulté vient en premier lieu du caractère original du phénomène. L'apparition de l'Italie fasciste, de la Russie pseudo-soviétique, de l'Allemagne hitlérienne, a pris tout le monde au dépourvu, non seulement les peuples ou les hommes politiques, mais encore les sociologues, les économistes et les historiens. Pourtant, ce système nouveau ne manque pas d'antécédents. Par exemple, on a maintes fois signalé, en les exagérant, ses ressemblances avec le Consulat e~l'Empire. Mais de tous les régimes qu'a connus l'histoire, c'est du despotisme dit oriental que s'approche le plus le totalitarisme de nos jours; dans certains cas - Russie et Chine en particulier - l'affinité de celui-ci avec celui-là est même mise en évidence par leur contiguïté dans le temps. Pour contribuer à dépouiller le totalitarisme de son caractère énigmatique, la confrontation théorique des deux systèmes sociaux doit éviter, il va de soi, le simple raisonnement par analogie, trop fréquent dans les travaux de ce genre. Un exemple caractéristique est offert par la thèse du professeur Sorokin selon laquelle le totalitarisme et le laisser-faire sont deux pôles entre lesquels oscille en permanence toute société humaine. Ce serait, à son avis, une question de « nombre des rapports sociaux qui servent de ''fils'' dans chaque réseau donné»; le flottement entre totalitarisme et laisser-faire, « cette fluctuationdes fonctions de surveillance et de réglementationqu'assument un groupe social et son gouvernement », se ramènedès lors à la « condensation » et la « raréfaction » de « son réseau de rapportssociaux ». Pourillustrerces affirmations, l'auteurdresseune longue liste des atats « totalitaires • du pu~ où figurent pele-meledes cmBiblioteca Gino Bianco pires despotiques,, Sparte et des sectes révolutionnaires médiévales 1 • Cependant on trouve le mê~e gen~e de raisonnement chez des auteurs bien moms ·superficiels. Ainsi Gluckstein déclare que la bureaucratie du vieil Empire chinois « fut un archétype du totalitarisme bien avant que le terme ne fût forgé» et parle du « totalitarisme. inhérent à la société orientale »2 • L'ouvrage capital sur le despotisme que nous devons à Wi~f ogel porte l_e sous-titre Une étude comparative du pouvoir total. Le système créé par Staline lui apparaît comme une variété nouvelle et plus complète du despotisme, le « despotisme industriel », par opposition au « despotisme agraire !> du passé ; il parle également des « formes agraire et industrielle de l'étatisme total »3 • Chose plus grave, Wittf ogel attribue souvent aux sociétés orientales certaines caractéristiques du totalitarisme qui leur sont étrangères. Tim1she~ dé~lare à so~ tour, avec plus de circonspection il est vrai, que « le Paraguay sous les Jésuites fut proche du totalitarisme »4 • Pour ne pas glisser vers le raisonnement par analogie, l'étude comparative doit se préoccuper des différences autant que des correspondances. * ,,.,,. · LE PRINCIPAL TRAIT commun au despotisme et au totalitarisme consiste en ce que la société est dominée dans les deux cas par un « appareil », institution monopolisant le pouvoir 1. Cf. Pitirim A. Sorokin : Social and Cultural Dynamics, t. III, New York 1937, American Book Company, pp. 181-18~. 2. Ygael Gluckstein : Mao's China. Sconomic and Po~•- tical Survey, Londres 1957, George Allen and Unwm, pp. 314-315. . 3 Karl A. Wittf'ogel : Ori,ntal Dapotism. A Comparahv, Study of Total Pow,r, New Haven 1957, Yale University Press, pp. 440-441. 4. N. S. Timashetf : • Totalitarianism, Despotisr_n, Dictatorship •, in Totalitarianil'11, ~dit~ par Carl J. Friedrich, Cambridge (Maa,.) 1954, Huvud University Press, P· 46.
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