212 Entre autres, Toukhatchevski y figure quatre fois, Blücher aussi. Ceux qui ne sont pas nommés dans ce tome vont bientôt l'être dans d'autres volumes encyclopédiques consécutifs. Dans le Bakinski Rabotchi du 23 février 1958, un article du général F. Kouznetsov rend hommage à Ouborévitch, Iakir, Toukhatchevski et Egorov parmi les« stratèges soviétiques de talent ». Dans le n° 2 du Communiste (février 1958) le maréchal Bagramian salue la mémoire de Blücher, d'Ouborévitch, de Iakir, et flétrit celle de Iagoda, de Iéjov et de Béria, les trois chefs de la police qui, serviteurs de Staline, ont torturé et fait périr des millions d'innocents. Le n° 2 de la revue Questions d'Histoire (février 1958) place Toukhatchevski parmi les «grands chefs militaires soviétiques ». Enfin le tome 51 de la Grande Encyclopédie Soviétique, en 1958, tome supplémentaire édité pour combler les «lacunes» voulues par Staline, donne la biographie et le portrait de Toukhatchevski ainsi que ceux de Blücher, de Dybenko, d'Egorov, de Gamarnik, d'Ouborévitch et d'autres. Le soi-disant conspirateur B. Chéboldaïev a aussi les honneurs d'une notice qui le disculpe. Ceux qui n'étaient pas assez notoires pour y figurer trouvent place déjà dans la nouvelle édition de la Petite Encyclopédie Soviétique, comme les trois premiers volumes parus à cette date le montrent. Il devient superflu d'enregistrer les signes répétés de «réhabilitation », tels que les complices de Staline la conçoivent, et qui déchargent définitivement les officiers dénoncés par Bénès, aveugle instrument du Guépéou et de la Gestapo, puis salis après coup par Churchill. Même si Khrouchtchev et consorts n'avaient pas jugé utile de laver la mémoire de certaines victimes du régime, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la justice et la ·morale, le mémoire publié · ci-dessus n'en garderait pas moins tout son sens. La façon même de procéder actuellement aux réhabilitations prouve à quel point subsiste le stalinisme, sous le despotisme des complices et successeurs de Staline. Avec un peu de recul, les révélations allemandes qui ont la Gestapo pour source et sont signées respectivement Horst Falkenhagen, Walter Hagen et Louis Hagen (celui-ci traducteur, ou soidisant tel, de W. Schellenberg), apparaissent assez faciles à déchiffrer. Il s'agit de faire la part . des faits réels dont les Allemands pouvaient avoir connaissance, celle des vantardises de Heydrich ou de Hitler et celle des fioritures journalistiques rapportant des détails que personne n'a pu connaître, puisque d'origine prétendument moscovite. Il est vraisemblable que la Gestapo ait forgé des faux en se procurant des documents antérieurs et des signatures de militaires russes comme modèles, en utilisant les services d'hommes du Guépéou à B~,;ün., Mais elle était manœuvrée Biblioteca Gino Bianco LB CONTRAT SOCIAL par le général Skobline, agent triple au service de Staline. Elle a donc manœuvré à son tour Bénès qui est tombé niaisement dans le panneau (et qui devait ensuite tromper Léon Blum et Churchill). Le général Behrens a eu raison de dire qu'Heydrich « n'avait même pas été le véritable promoteur de l'entreprise de falsification contre Toukhatchevski», mais « simplement un instrument aux mains ·du Guépéou». C'est l'évidence même. Les Allemands se leurraient en se vantant d'avoir décapité l'Armée rouge : ils n'avaient fait que servir les sinistres desseins de Staline, lesquels coïncidaient pour un temps avec leurs intérêts. «Ainsi l'affaire du maréchal Toukhatchevski fut une mesure préparatoire vers le rapprochement entre Hitler et Staline » : cette conclusion de W. Schellenberg confirme non seulement les renseignements de W. Krivitski, mais les vues de Léonard Shapiro (citées plus haut) et celles qu'a toujours défendues l'auteur du présent mémoire. Parmi les idées fixes du despote sanguinaire, la peur de la guerre et la volonté d'entente avec Hitler n'ont cessé d'inspirer sa politique, de tracer une ligne cohérente selon une certaine logique dans son comportement démentiel. Staline accusait ses victimes, civiles ou militaires, d'accointances avec les nazis précisément pour mieux perpétrer le pacte MoscouBerlin d'août 1939 qui a déchaîné une guerre atroce dont il escomptait l'épuisement des belligérants et l'accroissement relatif de sa puissance restée intacte. On sait comment il a été joué par Hitler, en juin 1941, et ce qu'il en a coûté aux peuples soumis à son pouvoir : au moins trente millions de morts, des dévastations et des souffrances indicibles. . Il est impossible de qualifier congrûment l'idée bouffonne, émise par Churchill entre autres, selon laquelle Bénès aurait rendu à Staline un «service » qui lui aurait valu la gratitude de ce dernier. Staline ne pouvait que mépriser davantage . le politicien stupide qui se prêtait aussi docilement •à sa machination et qui, douze ans plus .tard, a reçu sa récompense avec le« coup ·de Prague ». Quant à attribuer le moindre sentiment humain, gratitude ou autre, au hideux tyran qui a tué sa femme (même s'il n'a fait que l'acculer au suicide) et tous ses amis de jeunesse (Enoukidzé, Ordjonikidzé, Mdivani), qui a assassiné ses proches camarades du Parti et s'apprêtait à «liquider » les rares survivants, qui a massacré des millions d'hommes, de femmes et d'enfants, qui a instauré la torture et la terreur comme procédés habituels de gouvernement, c'est bien le comble dé l'ignorance et de l'inconscience en matière soviéto-communiste. Ignorance et inconscience qui persistent dans les hautes sphères politiques en Occident, malgré les leçons de l'expérience, et dont le monde civilisé n'a pas fini de souffrir les conséquences. B. S.
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