202 des plus anciens communistes qui avaient contribué à faire la révolution ». « Pour être vue dans sa perspective réelle, la purge militaire doit être considérée comme une part du processus en cours dans tout le pays », conclut M. Schapiro; « Sous ce jour, il faut peutêtre résister à la tentation de chercher des e:,çplications rationnelles », ajoute-t-il par allusion à ce « qu'on peut envisager seulement comme une forme de démence», la destruction physique de toute opposition réelle ou virtuelle. La même conclusion s'est imposée à l'esprit des rares observateurs sérieux ayant su résister aux fausses versions de la propagande communiste et aux interprétations fantaisistes de la presse tapageuse. Elle sera entièrement justifiée, vingt ans après la tragédie, par maints aveux explicites et implicites des complices de Sta1ine. * ,,.,,. Au TROISIÈME PROCÈS des ex-dirigeants bolchéviks, mis en scène à Moscou du 2 au 13 mars 1938, le nom de Toukhatchevski fut encore prononcé deux fois par Boukharine, visiblement sur les instructions des juges-tourmenteurs qui avaient reçu l'ordre d'amalgamer diverses catégories d'innocents dans une même culpabilité « contre-révolutionnaire ». Boukharine dit d'abord : « Tomski et Enoukidzé m'avaient informé que dans la direction de l'Armée rouge l'union s'était faite alors entre droitiers, zinoviévistes et trotskistes ; ce disant, ils m'avaient donné des noms (...) Je vous dirai ceux dont je me souviens: ce sont les noms de Toukhatchevski, Kork, Primakov et Poutna » ( Compte rendu sténographique, Moscou 1938, p. 419). Boukharine était contraint de réciter ses mensonges appris durant son incarcération, mais sans être tenu d'accepter les incriminations les plus absurdes. Questionné par Vychinski sur « la tâche essentielle du groupe de conspirateurs », il répond:« La tâche essentielle était de renverser le gouvernement soviétique par la violence. » Nouvelle question de Vychinski sur les militaires participants du complot : « Toukhatchevski, Primakov et certains autres ? » Réponse de Boukharine : « 11 y avait encore le groupe d'Enoukidzé. » Ainsi le malheureux répond d'une manière détournée, sans nier, mais parlant d'un autre « groupe » ( certes, imaginaire, comme tout le reste). Vychinski pose alors la question suivante : « Je vous prie de nous donner des explications sur vos liaisons avec les milieux de gardes-blancs et les fascistes allemands. » Cette fois, Boukharine n'est pas obligé d'admettre ce mensonge trop gros : « Je ne comprends pas à quoi vous faites allusion.» Vychinski réitère, Boukharine esquive : « Je ne suis pas au courant ; dans tous les cas, je ne me souviens-pas-» -f.ep. cit., pp. 422-423). Cela ne changera rien à l'issue du procès: Vychin• ski n'insiste pas. Boukharine veut bien souscrire à d'énormes mensonges, dans l'intérêt du Parti Biblioteca Gino Bianco LB CONTRAT SOCIAL croit-il en divagant, mais pas à ceux qu'il juge déshonorants, comme les « liaisons avec les milieux de gardes-blancs et les fascistes allemands». f Or Staline et ses auxiliaires n'ont pas pris la peine d'harmoniser leurs diverses affabulations qui s' entre-contredisent. Dans les communiqués officiels relatifs aux I généraux fusillés, il n'est nullement question de « renverser le gouvernement s~viétique par la violence », mais d'espionnage, de sabotage, d'aide à l'ennemi extérieur éventuel « en cas d'agression militaire », etc. Et Boukharine, membre de la prétendue conspiration, consent à s'avilir pour le bon motif, même à être supprimé au physique après avoir été brisé au moral, mais il ne va pas jusqu'à reconnaître des « liaisons avec les. gardes-blancs et les fascistes allemands». Quand Vychinski demande : « Parlez-nous de vos crimes », Boukharine raconte : « Tomski 1, estimait possible de tirer parti de la guerre et de se mettre d'avance d'accord .avec l'Allemagne », mais lui, Boukharine, pensait que « le rôle du groupe militaire des conspirateurs (...) pourrait créer une sorte de danger bonapartiste; quant aux bonapartistes - j'avais surtout en vue Toukhatchevski - leur premier souci aurait été de liquider, à l'instar de Napoléon, leurs alliés, ceux qui, pour ainsi dire, les avaient inspirés. Dans nos entretiens, j'ai toujours désigné Toukhatchevski sous le terme de '' petit Napoléon virtuel'' ; or on sait ce que Napoléon faisait de ce qu'on appelle les idéologues» (op. cit, p. 460). Si l'on s'efforce de trouver un sens à ces propos incohérents, il n'y en a pas d'autre que la négation d'une action commune avec Toukhatchevski. Ensuite Boukharine dit des choses comme celleci : « Je me souviens que Tomski me disait que -Karakhan avait réussi à conclure avec l'Allemagne un accord plus avantageux que celui de Trotski» (op. cit., p. 461). L'Allemagne aurait conclu un « accord » avec Trotski, puis avec Karakhan : cela suffit à caractériser la scène délirante d'où les phrases citées sont extraites. A un autre moment, Vychinski lit une déclaration de Rykov à l'instruction : « Dans le sens de la préparation. de la âéfaite de l'URSS, le groupe de Toukhatchevski, partie constituante de notre organisation, n'agissait pas seul. Toute notre orientation internationale ·-et les po.urparlers de .. Karakhari préparaient cette défaite.» Rykov acquiesce : « C'est exact» (op. cit., p. 429). Telles sont les seules données fournies par la documentation soviétique sur l'hécatombe des officiers. de l' Armée rouge indûment appelée « affaire. 'Toukhatchevski» en Occident. Elles prouvent l'interconnexion étroite de toutes ·1es «affaires» du même· ordre à la même époque, inséparables les unes des autres, ce qui exclut les multiples ,hypothèses imaginées pour motiver telle « affaire » autrement que telles autres. Pas plus que Trotski, ni que Zinoviev et Kamenev, ni que Piatakov et Radek, ni que Boukharine
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==