B. SOUJIARINE takov, Sérébriakov, Mouralov et d'autres (treize sur dix-sept) seront fusillés, ce qui révèle un do ut des. En l'espèce, il importe peu que Radek, stylé par les maîtres du jeu, ait parlé des deux militaires en termes différents : pour tous deux, les conséquences devaient être identiques. Walter G. Krivitski, agent! du service secret des renseignements soviétiques en Europe occidentale, raconte dans son livre : Agent de Staline (Paris 1940) qu'à la lecture du compte rendu de l'audience du 24 janvier, il éprouva comme un choc et dit à sa femme : « Toukhatchevski est perdu », ajoutant pour répondre à une objection : « Crois-tu une seconde que Radek aurait osé de lui-même traîner le nom de Toukhatchevski devant le tribunal ? Non, c'est Vychinski qui a mis le nom de Toukhatchevski dans la bouche de Radek. Et c'est Staline qui a poussé Vychinski. Tu ne comprends donc pas que Radek parle pour Vychinski et Vychinski pour Staline ? Je te le répète : Toukhatchevski est condamné» (pp. 257-258). Cette opinion était celle de toute personne instruite des choses soviétiques. « Pour ceux qui connaissaient la technique du Guépéou, cela ne pouvait avoir qu'une signification », soulignait W. Krivitski avec raison. D'autre part, malgré le secret des opérations policières, des informati·ons chuchotées filtraient peu à peu et révélaient, parmi d'innombrables arrestations effectuées au cours des mois précédents, celles de plusieurs généraux de la plus haute classe, notamment de Poutna, de Primakov, de Schmidt. Il était donc chronologiquement évident que la vaste machination mise en œuvre pour anéantir les principaux cadres du parti de Lénine qui formaient aussi l'armature de l'État soviétique devait impliquer les militaires de même que les politiques, les économistes, les diplomates, les policiers, les intellectuels de toutes sortes. Déjà nombre d'ambassadeurs de l'URSS étaient rappelés à Moscou pour disparaître à jamais et les « épurations » meurtrières commençaient jusque dans la police secrète. Les desseins inavoués de Staline visaient l'ensemble de l' « appareil » supérieur du Parti et de l'État, non telle ou telle catégorie particulière. Le 12 avril 1937, on apprenait la mutation de Toukhatchevski à un poste secondaire., au commandement des troupes de la circonscrirtion militaire de la Volga, ce qui signifiait son éloignement de Moscou et une disgrâce certaine. 11 était remplacé par le maréchal Egorov comme commissaire adjoint à la Guerre. Les généraux Levandovski., Kouzmitchov et d'autres avaient disparu. En l'absence totale de motif plausible pour tuer Toukhatchevski, lc9uel s'était prêté docilement aux volontés de Staline quand celui-ci «épura» l'armée après l'éviction de Trotski, un procès de l'état-major suivi de condamnations à mort prescrites par le Politburo aux ordres de Staline n'apparaissaitpourtant pas concevable alors. Mais toute e1pècede douteallaitse dissiper Biblioteca Gino Bianco 199 quand, le 2 juin 1937., fut annoncé le suicide~de Ian~Gamarnik., commissaire' adjoint à'1ela·· Guerre, cher de la Direction politique de l'armée. Quelque chose de terrible se préparait à coup sûr dans les coulisses du pouvoir et nombre de personnalités préféraient le suicide aux tortures dont~le Guépéou., obéissant à Staline, avait fait une··.pratique courante pour arracher de faux aveux aux innocents destinés à une mort ignominieuse. Entre autres suicides déjà divulgués avant celui de Gamarnik, il y avait eu celui de M. Tomski, ex-membre du Politburo, ex-président du Conseil des syndicats ; et ceux de N. Skrypnik, commissaire à l'instruction publique en Ukraine, de V. Lominadzé, ex-secrétaire du Comité central en Géorgie et de l'Internationale des Jeunesses communistes, d' A. Khandjian, secrétaire du Parti en Arménie, etc. On peut difficilement dater les suicides ·de A. Tcherviakov, présidènt du Comité exécutif en Russie blanche, de P. Lioubtchenko, président du Conseil des commissaires en Ukraine, qui eurent lieu à la même époque. De tous côtés parvenaient les échos de fusillades quotidiennes, des · rafles policières, de morts suspectes. S. Ordjonikidzé, un des proches de Staline, était frappé de mort subite deux semaines après l'exécution de Piatakov, son plus précieux collaborateur. Sur les circonstances de la mort récente de Maxime Gorki couraient des rumeurs sinistres. Le suicide de Gamarnik faisait donc partie d'une longue série et le sort des militaires ne se distingue en rien de celui des civils. * .,,..,,. LE 10 JUIN 1937, la disgrâce de Toukhatchevski se confirmait, le général Efrémov étant nommé à la tête de la circonscription militaire de la Volga sans qu'aucune affectation nouvelle indiquât le déplacement du prédécesseur. Selon toute vraisemblance, Toukhatchevski avait été mis en prison. D'ailleurs d'autres officiers supérieurs étaient déjà arrêtés,.entre autres R. Eideman, chef de l'Académie militaire, et Kork, commandant de l'aviation. La nomination de Dybenko au poste occupé précédemment par Iakir révélait la déchéance de ce dernier. Dans le processus d'extermination en cours, donc, était venu le tour des militaires. Et celui des policiers aussi puisque G. Iagoda, chef du Guépéou, prenait le chemin de la prison et du supplice. Enfin le 11 juin 1937, un communiqué officiel faisait savoir que le tribunal militaire était saisi d'une « vaste affaire de trahison». En voici le texte : Après instruction, on vient de renvoyer devant le tribunal l'affaire de Toukhatchevski, Iakir, Ouborévitch, Kork, Eideman, Feldman, Primakov et Poutna arrêtés par les organes du commissariat du peuple à l'Intérieur, en différentes périodes. es détenus sont accus s d'iiûr cti n u devoir militaire (serment), d trahison envers l patri de •
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