Le Contrat Social - anno III - n. 4 - luglio 1959

198 tiquement toute rencontre. Boukharine refusait de voir ses amis de toujours. Dans l'armée comme dans l'administration du Parti et de l'État, personne n'osait se fier à personne, chacun se sachant, se sentant épié par une police omniprésente, chacun craignant soit une traîtrise, soit la défaillance d'un innocent incapable d'endurer la cruauté · des interrogatoires. . La terreur atteignit son paroxysme quand eut lieu, du 19 au 24 août 1936, le procès du soi-disant « Centre terroriste trotskiste-zinoviéviste » (lequel n'avait jamais existé) suivi de 16 exécutions capitales, celles notamment de G. Zinoviev, L. Kamenev, G. Evdokimov, I. Smimov, I. Bakaïev, V. Ter-Vaganian, S. Mratchkovski, I. Reinhold, pour ne nommer que les inculpés les plus notoires. Les accusations étaient manifestement fausses, les aveux sans nul doute extorqués par des moyens odieux que la morale réprouve, mais la réalité de cette tuerie injustifiable révélait des intentions homicides de Staline auxquelles la raison et le sentiment se refusaient à croire. Le 23 janvier 1937, quand s'ouvrit un nouveau procès, celui du soi-disant « Centre antisoviétique trotskiste» (lequel n'a pas plus existé que le précédent), personne ne douta du sort promis aux 17 accusés, parmi lesquels figuraient des personnalités de haut rang comme G. Piatakov, K. Radek, G. Sokolnikov, L. Sérébriakov, N. Mouralov, J. Drobnis, M. Bogouslavski, dont les noms sont inscrits dans l'histoire du Parti de la Révolution, quelque opinion(_qu'on en ait. La question qui se posait ..) alors dans tous les esprits angoissés était de savoir jusqu'où Staline serait capable d'aller dans son œuvre extermi- • natnce. En même temps que se déroulait la lugubre mise en scène des procès, les mailles du filet de la police se resserraient autour de la plupart des ex-dirigeants du régime. C'est dans cette atmosphère de cauchemar qu'à l'audience du 24 janvier 1937, l'accusé Karl Radek, répondant à une question quelconque du procureur A. Vychinski, .prononça inopinément et comme incidemment le nom du maréchal Toukhatchevski. * ,,. ,,. LE COMPTE RENDU sténographique du procès (Moscou 1937, p. 112) rapporte, exactement ou non, ce premier propos de Radek : « En janvier 1935, quand je suis arrivé, Vitali Poutna, chargé d'une mission par Toukhatchevski, vint chez moi. » A ce moment, Radek met en cause le général Poutna, attaché militaire soviétique à Londres, comme mêlé à ses agissements terroristes imaginaires qu'il décrit avec complaisance, et il n'impute rien de répréhensible à Toukhatchevski. A l'audience suivante du même jour, il précis~ra et soulignera que Toukhatchevski reste hors de Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL cause, au cours d'un nouvel interrogatoire dont Vychinski prend l'initiative et dont voici les termes textuels (Compte rendu sténographique, p. 155) : VYCHINSKI : Accusé Radek, vous avez dit dans vos déclarations : « En 1935 (...) nous avons décidé de convoquer une conférence, mais auparavant, en janvier, lorsque je suis arrivé, Vitali Poutna est venu chez moi, chargé d'une mission de Toukhatchevski ... » Je voudrais savoir à quelle occasion vous citez ici le nom de Toukhatchevski ? RADEK: Toukhatchevski avait reçu du gouvernement une mission pour laquelle il avait besoin de matériaux qu'il ne pouvait trouver nulle part et que j'étais seul à posséder. Il me téléphona pour demander si ces matériaux se trouvaient chez moi. Je les avais, et c'est pourquoi il envoya Poutna, avec qui il devait remplir cette mission, chercher ces matériaux. Bien entendu Toukhatchevski n'avait aucune notion du rôle de Poutna, ni de mon rôle criminel. VYCHINSKI: Et Poutna ? RADEK: 11 était membre de l'organisation, il n'était pas venu pour parler des questions de l'organisation, mais j'ai profité de sa présence pour en parler. VYCHINSKI : Ainsi, Poutna est venu chez vous, chargé par Toukhatchevski d'une mission officielle n'ayant pas le moindre rapport avec vos affaires, car lui, Toukhatchevski n'avait aucun rapport avec ces affaires? · RADEK: Toukhatchevski n'a jamais eu aucun ràpport avec mes affaires. VYCHINSKI: Il avait envoyé Poutna en mission de service ? RADEK: Oui. VYCHINSKI: Et vous avez profité de l'occasion pour vous occuper de « vos propres affaires » ? RADEK: Oui . VYCHINSKI: Si je comprends bien, Poutna était en rapport avec les membres de votre organisation trotskiste clandestine et le nom de Toukhatchevski n'a été cité que parce que Poutna était venu, chargé par Toukhatchevski d'une mission officielle. RADEK: Je le confirme et je déclare que je n'ai jamais eu ni ne pouvais avoir avec Toukhatchevski de rapports ayant trait à une activité contre-révolutionnaire, parce que je savais, par son attitude, que c'était .un homme absolument dévoué au Parti et au gouvernement. Ainsi, le seul général Poutna est explicitement compromis, dénoncé par Radek comme complice de projets terroristes n'ayant jamais été mis à exécution. L'importance de ce fait échappe alors nécessairement aux profanes qui ne peuvent savoir que les cadres supérieurs de l'Armée rouge tiennent Poutna pour leur futur commandant en chef en CIJS de guerre. Mais le nom de Toukhatchevski a été prononcé et cela suffit aux initiés pour comprendre que Staline a décidé la perte du maréchal. Radek n'a pu se permettre son allusion que sur instructions « d'en haut», le scénario- de chaque procès étant dûment et minutieusement concerté au préalable dans le cabinet du juge instructeur. Et en effet il va s'en tirer avec dix ans de prison tandis que Pia-

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