Le Contrat Social - anno III - n. 3 - maggio 1959

CHRONIQUE du Kremlin. Par eux aussi, on a fini par apprendre que les dirigeants soviétiques vont aux ordres à Pékin et ne sauraient plus rien décider sans en référer à l'omnipotent Mao : l'Union soviétique devient alors satellite de la Chine communiste. Là-dessus il paraît que Mao se trouve en disgrâce, ou presque, et doit résigner ses fonctions de président pour se contenter d'exercer le rôle ~odeste, pour ne pas dire insignifiant, de chef du Parti. Tous l~s «experts» s'empressent de mettre en avant les noms de successeurs possibles, probables, repérés parmi les leaders plus « modérés» que Mao,_plus «souples» : or, c'est Liou Chao-tchi, le seul auquel ces messieurs n'avaient pas pensé, que le« Congrès du peuple» nomme à la présidence. Et Liou, un «dur » par excellence, sorti de l'école soviétique, incarnerait le stalinisme à la chinoise. Si quelqu'un y comprend quelque chose ? De cette suite ininterrompue de billevesées, réduite ici à l'essentiel, il se dégage pourtant une tendance constante, celle de coopérer plus ou moins consciemment aux succès du communisme. Il faut toujours «aider » tantôt le gouvernement de Pékin, tantôt celui de Moscou, pourvu que le communisme y trouve son compte, d'une façon ou d'une autre. La mode a ses raisons, la mode a ses mystères : elle favorise parfois Mao, parfois Khrouchtchev, et parfois même les deux simultanément et contradictoirement. Nul ne doit ignorer que Mao est un grand poète et, aux dernières nouvelles, Liou ·u. n grand « doctrinaire », comme Staline était un grand philanthrope, un grand penseur, un grand artiste. Mais à présent il importe d'avoir en vue également le péril jaune, le milliard de Chinois qui demain, après-demain, bientôt, va déranger Khrouchtchev dans ses plans grandioses de compétition pacifique. Chose étrange, Khrouchtchev n'a pas la moindre idée de ce qui se passe à ses frontières, de ce qui se prépare. Ce sont 'd'éminentes personnalités politiciennes et écrivassières de France et de Navarre, d'Amérique et d'ailleurs, qui s'évertuent à lui ouvrir les yeux, à lui révéler le danger. Cependant le fin du fin consiste, pour ces clairvoyants, à rendre visite successivement à Khrouchtchev et à Mao, ou dans l'ordre inverse, afin de revenir chargés de vérités premières, de confidences précieuses qu'ils auront la générosité de divulguer dans la presse moyennant fort tarif et copyright. Ainsi le péril jaune est à l'ordre du jour. La statistique communiste, dont il serait impie de mettre en doute la précision scientifique, annonce une population chinoise croissante de 600 millions d'lmes (ou de 650 millions, différence négligeable) et les démographes tracent des courbes infaillibles qui présagent le destin de la race blanche, indiquant l'époque où l'excédent de Chinois se dirigera vers le Nord (pourquoi pasvers le Sud ?) à la conquête d'un espace vttal. • Biblioteca Gino Bianco 185 Le géopoliticien allemand W. Starlinger affirme que telle est l'anxiété majeure des Russes qu'il a fréquentés dans plusieurs camps de concentration *. D'autres Russes, ceux de l'exil, ne peuvent s'empêcher de citer Vladimir Soloviev dont le poème Panmongolisme (1894) prévoit la montée de tribus vers le Nord, une marée jaune, « comme la sauterelle innombrable, et comme elle insatiable». Mais tout cela ne renseigne pas sur l'état présent des choses en Chine ni sur l'évolution prévisible dans les conditions nouvelles de la technique et des rapports internationaux, compte tenu surtout du régime dit communiste, de sa nature et de ses virtualités profondes. John Keswick, directeur de Jardine, Matheson and Co à Hong-Kong, une des principales firmes britanniques qui aient commercé avec la Chine pendant plusieurs générations, passe à juste titre pour un homme des mieux avertis sur ce pays. Quand un visiteur le questionne maintenant, il répond : « Tout ce que j'ai eu l'occasion d'apprendre sur la Chine est aujourd'hui sans valeur.» Et il montre un cahier sur la couverture duquel on peut lire : « Ce que je sais de la Chine». A l'intérieur, ce sont des pages blanches. John Keswick, le vieil « homme de Chine », grand seigneur des relations avec l'Empire du Milieu, commente son cahier d'une blancheur éloquente en ces termes qui méritent de rester : « Seuls ceux qui comprennentla Russie soviétiquepeuvent comprendre la Chine rouge.» Louis Fischer, un de ceux qui ont rapporté cette parole si sage, dans Weekry Amrita. Bazar Patrika du 22 janvier 1953, ajoute de son crû : « Il a voulu dire par là que l'idéologie a plus d'importance que les caractéristiques nationales.» Vérité incontestable, contre laquelle ne prévaudront pas les impressions de voyageurs ignares ni les sophismes de cuistres pervers * *. Il faut la connaissance du bolchévisme et du stalinisme pour expliquer avec sérieux les étapes du communisme à la chinoise, depuis la prise du pouvoir au nom du prolétariat par une armée paysanne. Le péril n'est pas spécifiquement jaune, mais rouge. * Limites de la puissance soviétique, Paris, Éd. Spes, 1957. Compte rendu par B. Souvarine dans le Contrat social, n° 3 de 1957. Un autre ouvrage du même auteur a paru en 1958 : Derrière la Russie, la Chine (même éditeur). Il en sera rendu compte dans un prochain numéro de la présente revue. • • L'un d'eux, M. René Etiemble, professeur à Moscou et en Sorbonne, pérorant à la radio française, aurait pris à partie le Contrat social pour l'article de Richard Walker : Le voyage en Chine (notre n° I de 1958) où cet excellent spécialiste analyse la technique du tourisme organisé en Chine communiste et examine la valeur des témoignages que publie la presse. M. René Etiemble affirmait, dit-on, avoir pu circuler sans obstacle et causer sans g~ne avec des natifs. On peut l'en croire: les visiteurs de son esp~ce ne donnent aucun souci aux laveurs de cerveaux et coupeurs de t~tes qui instaurent la termiti~re communiste en Chine. Quant à savoir si ses interlocuteurs se ont xprimé librement, ceci est une autre histoire .

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