Le Contrat Social - anno III - n. 3 - maggio 1959

QUELQUES LIVRES négative.· A l'idée d'un organisme se perfectionnant dans une évolution progressive, il oppose celle d'un déchirement aboutissant à la mort inéluctable, après une vie comparable à celle des individus. Au temps indéfini selon les progxessistes, il oppose des cycles culturels analogues à celui des saisons ; à l'unité humaine, l'isolement propre à chaque civilisation historique. Ce déchirement, qui aboutit à détacher la société humaine de la Nature dont elle est issue et qui finalement provoque sa perte, c'est la technique inventive de l'homme, l'outil que brandit la main pensante. Chaque cycle culturel s'apparente ainsi à une tentative de révolte contre la Nature divinisée. Dans Le Déclin de _ l'Occident Spengler avait dressé un tableau de phases correspondantes à l'intérieur des différents cycles : ainsi le xxe siècle occidental était « contemporain » du stoïcisme du 111e siècle, marqué comme lui par la prédominance de la vie urbaine sur la vie rurale et naturelle. Il aurait atteint la dernière saison du cycle culturel, la phase décadente où l'emporte l'égoïsme individualiste et l'humanitarisme cosmopolite sur les valeurs « créatrices » de la terre et du sang. Cependant il ne s'agit nullement pour Spengler d'adhérer au mythe antique de l'éternel retour. Chaque cycle imprime sa marque spécifique sur l'homme. Le cycle faustien ou occidental fait de lui l'esclave de ses œuvres, un produit de sa propre technique machiniste, comme le pressentait Gœthe dans le second Faust. A la fin du Déclin de l'Occident, écrit en 1918, Spengler prophétise l'avènement du césarisme et la destruction du capitalisme : « L'épée vaincra l'argent. » De cet achèvement de la civilisation faustienne, il attend le triomphe de la noblesse prussienne, forme ultime d'une civilisation déclinante, seule capable de perpétuer la Vie par l' exercice de sa Volonté de Puissance. On ne trouve plus dans L'Homme et la technique l'appel au combat contre ce que l'auteur appelle l'argent. Les dés sont jetés, la catastrophe est là. Après la première défaite de l'Allemagne, Le Déclin de l'Occident proposait la transformation du pays en une communauté rurale où se serait exprimé le vieil idéal réactionnaire des junkers prussiens, mais de junkers qui ne seraient pas devenus entre temps des actionnaires de l'industrie lourde. L'Homme et la technique reflète le chaos politique où se débattait la république de Weimar en 1931, avec ses millions de chômeurs et l'ascension hitlérienne. Les personnalités d'élite disparaissent devant les masses que le capitalisme a rassemblées par le travail, puis rejetées dans le désespoir. La culture machiniste est en voie de dissolution totale et ses initiateurs sont vaincus par la révolte, que Spengler juge prochaine, contre les valeurs de la civilisation occidentale. La technique s'éloigne de ses sources humaines et devient un art en même temps ésotérique et standardisé qui rebute l'homme faustien, tandis qu'elle forge des armes aux peuples colonisés par l'Europe.A cette situation « seuls les mythoBiblioteca Gino Bianco 181 manes croient encore qu'il reste une issue possible. L'espérance est lâcheté» (p. 156, souligné par l'auteur). Il s'agit pour l'« homme blanc >> de mourir dignement car « une fin honorable est la seule chose dont on ne puisse pas frustrer un homme» (p. 157, souligné par l'auteur). On sait à quel point les comparaisons sociologiques de Spengler sont fragiles, voire réfutables ; elles ne sont ici qu'un support, parmi d'autres supports possibles, d'une prophétie apocalyptique. Ses cycles participent d'une croyance millénariste en l'accomplissement inévitable de toutes les cultures humaines. Que sa vision, débarrassée de considérations périmées, demeure vivante, cela signifie que l'ère des catastrophes n'est pas close, sans qu'on en puisse clairement apprécier les conséquences. L'esprit prophétique peut se sentir- à l'aise au milieu des épaves de l'histoire. Les grands événements ont tous été prédits,, pensait Joseph de Maistre, et parmi eux les catastrophes finales inscrites depuis des millénaires dans les livres sibyllins. De nos jours, les textes sacrés, les voies mystérieuses de la Providence ne peuvent plus être invoqués; il faut s'appuyer sur un déterminisme, qu'il soit _économique, biologique ou cosmique, pour retrouver dans les guerres et les crises modernes l'équivalent des grandes pestes médiévales., L'esprit prophétique transforme concepts et groupes sociaux en substances suffisamment rigides pour qu'en éclatant sous les coups du destin ils puissent ensevelir les vivants sous leurs débris. Il ne s'agit pas de nier l'intérêt du concept de cycle en histoire, ni de so1:1s-estimer l'angoisse provoquée par les autodestructions de toutes sortes dont notre époque n'offre que· trop d'exemples. Des sociétés se sont écroulées, non en vertu d'une loi biologique ou cosmique mais parce que, suivant l'expression de Toynbee, elles n'avaient pas su riposter au défi qui surgissait sous leurs pas ; d'autres ont survécu aux obstacles intérieurs et extérieurs. L'angoisse ne naît pas du sentiment d'un destin inéluctable, mais de la difficulté à assimiler et à résoudre l~s problèmes du monde actuel. Il n'apparaît pas que le déterminisme de Spengler puisse aider les sociétés à combattre pour leur existence. Bien au contraire, il ne peut leur proposer qu'une mort honorable. C'est en termes différents qu'il faut poser la question. En 1919, c'est-à-dire à l'époque où Spengler venait d'achever Le Déclin de l'Occident, Paul Valéry s'i11terrogeait sur la diminutio capitis de l'Europe devant la croissance des autres continents : << Avons-nous quelque liberté contre cette menaçante conjuration des choses ? >> Il ajoutait aus itôt : cc C'est peut-être en cherchant cette liberté qu'on la crée. » Cela suppose que l'esprit et la volonté parviennent au préalable à se débarra er des mythes étouffants et des vain proph ti . Mr HEL OLLI liT.

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