150 La propagande soviétique a voulu persuader les Arabes que la guerre de Corée était un secteur de la lutte générale des peuples d'Afrique et d'Asie pour la liberté et l'indépendance. Cela signifiait que l'Orient arabe devait se ranger sous le drapeau du communisme et aux côtés de Moscou contre l'Occident. Mais en quoi consistent la liberté et l'indépendance telles que le régime soviétique les pratique à l'usage des musulmans ? Autrement dit, quel avenir serait réservé aux pays plus ou moins arabes qui se risqueraient à instaurer chez eux un régime apparenté aux << démocraties populaires » telles que la Mongolie et le Sin-Kiang ? En 1951, donc, A. Berg définissait l'état des choses en huit points : 1. 99 % des cadres de l'islam en URSS sont supprimés par la police secrète ; 2. Toutes les écoles coraniques en URSS sont fermées, leur personnel enseignant étant déporté; 3. Presque toutes · les mosquées en URSS sont fermées; 4. Les voyages pour le hadj sont interdits ; 5. Le rite de la circoncision est prohibé ; 6. L'observance du Mevlud, du Kourbanbaïram, du Ramadan-baïram est interdite ; 7. La lecture et la conservation du Coran sont défendues; 8. Les libertés civiles sont « liquidées » par le bolchévisme. Seuls correctifs à ce tableau : depuis la dernière guerre, Staline a accordé un semblant d'existence légale aux derniers survivants du clergé musulman (muftis et autres) qui se résignent comme les métropolites et les rabbins terrorisés à signer les « appels de Stockholm» et d'ailleurs, à favoriser le colonialisme communiste, à servir la diplomatie et la propagande soviétiques en Orient et en Afrique du Nord. Ce qui explique l' ouverture intermittente de quelques mosquées et l'exploitation publicitaire de quatre ou cinq « tournées » de mu/tis soviétiques à l'étranger. Mais aucune illusion ne subsiste si l'on tient compte des faits révélés par les musulmans fugitifs ou attestés par des mus111mans impartiaux comme ceux de la mission médicale du Pakistan. L'islam réellement se meurt sous la colonisation communiste, la moins tolérante de toutes. Le passé musulman n'est pas mieux respecté en URSS que le présent ni l'avenir des croyants par Staline et ses auxiliaires devenus ses successeurs qui, après la guerre, ont entrepris de falsifier l'histoire, de réviser les manuels scolaires afin d'extirper des consciences le souvenir des actes mémorables tout en extirpant la coutume dans les ~ mœurs --~courantes. Uni exemple frappant, sous ce rapport, est la façon· dont le héros de la guerre sainte au Daghestan, au XIX8 siècle, le Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE fameux · iman Chamil, honoré encore dans les livres soviétiques jusqu'en 1947, fut vilipendé depuis cette date, couvert d' outrages posthumes. Karl Marx en son temps avait rendu hommage au valeureux champion de l'indépendance du Caucase et Lénine prolongeait la tradition marxiste à cet égard, du moins en paroles. Staline a ensuite changé tout cela. Chainil, « homme instruit, chef éminent, soldat brave », comme disait naguère !'Histoire de l'URSS (tome 2, Moscou 1946), organisateur de grand talent et dont l'action « avait un caractère démocratique et progressiste», Chamil tomba inopinément au niveau d'un « espion des Anglais et des Turcs »; son mouvement « n'était ni Ull mouvement démocratique ni de libération nationale », mais au contraire « réactionnaire et nationaliste, au service du capitalisme anglais et du sultan de Turquie » (même ouvrage, éditions suivantes, revues et corrigées). Les encyclopédies, les livres d'histoire et de littérature où le nom de Chamil se trouve mentionné étaient tous à censurer, à rectifier, à récrire. Toutes les œuvres relatives au passé musulman du Caucase furent soumises au crible de la critique stalinienne, laquelle ne ménageait rien ni personne. Ainsi le Kitab Dede Korkout, épopée médiévale classique en langue azéri, que l' Encyclopédie soviétique comparait à la Chansonde Roland et au Dit de la Horde d'Igor. Depuis 1950, le chefd'œuvre magnifié jusqu'à nos jours par tous les érudits, les philologues et historiens soviétiques de l'Azerbaïdjan déchoit comme « nuisible et réactionnaire » selon un réquisitoire prononcé par Djafar Baguirov, ancien président de la Tchéka à Bakou, puis secrétaire du parti communiste local. Car ce poème, affirmait la Pravda du 8 août 1951, « glorµie les guerres de pillage du prophète Mahomet et incite à l'hostilité, au • massacre entre nattons». Le même Djafar Baguirov s'est acharné rétrospectivement sur le muridisme mystique du dernier siècle qui avait insufflé aux musulmans l'esprit de résistance à la colonisation russe. Il donnait le ton à toute la presse en des termes significatifs : « En accord avec les exigences du Coran où il est écrit : Fais la guerre aux incroyants et aux apostats et sois cruel envers eux, le muridisme sanctifie le meurtre et la spoliation des incroyants, il promet aux murides le butin, la tête et la propriété des vaincus, leurs femmes et leurs enfants » (Bakinski Rabotchi, 18 juillet 1950). Les phrases conciliantes occasionnelles sur l'harmonie spontanée du Coran et du Manifeste cominuniste ne sont que rhétorique creuse et passagère, exclusivement réservée à l'usage externe pour les musulmans naïfs ou ignorants et crédules en Asie et ,en Afrique. Sur ~': chapitre des textes révisés, répudiés ou mutiles en URSS, sur le dressage des jeunes générations d'intellectuels à recommencer sans
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