B. SOUVARINE sieurs fois emprisonné; Kazra Cadi Guebekov, 68 ans, dont quatorze passées en prison ; et le cheikh Ali Zadé Akhound Aga, 75 ans, chiite. Mais chaque service religieux dans les mosquées devait obligatoirement commencer par glorifier Staline et finir en proclamant que « le pouvoir soviétique est donné par Allah, aussi tout homme qui s'insurge contre le pouvoir soviétique s'insurge contre Allah et contre Mahomet, son prophète ! » A quelles réalités correspondent ces aspects de renouveau religieux ? On sait que le pèlerinage à La Mecque en 1946 et la visite de quelques dignitaires soviéto-musulmans à l'université AlAzhar et à New Delhi l'année suivante ont été des simulacres _sans lendemains. Dès 1947, le hadj fut de nouveau interdit sous prétexte de choléra et la séquestration des musulmans de l'URSS redevint plus stricte que jamais. Quelques mosquées seulement sont rouvertes, très peu aussi de médresses, bien que la propagande communiste en Orient et en Afrique prétende à cet égard toutes sortes de choses idylliques et rarement contrôlables. Or, il se trouve parfois des témoins de qualité, lesquels vérifient, et dissipent les fumées de la propagande. Le Dr Riaz Ali Shah, éminent médecin· musulman de Lahore, membre d'une mission admise en 1951 à visiter quelques lieux de l'URSS en Asie et en Europe, a rapporté ses observations et réflexions dans quatre articles parus au Pakistan (Dawn des 28 et 30 juillet, 1 et 3 août 1952). A Tachkent, l'un des principaux centres musul-. mans traditionnels, capitale de l'Ouzbékistan, écrit-il, « nous apprîmes qu'une seule mosquée ~xistait encore dans la vieille ville, et ouverte le vendredi seulement pour la prière; mais en dépit de nos instances répétées, nous ne pûmes la voir ». Même situation à Alma-Ata, capitale du Kazakstan, autre foyer très important de l'islam. « On m'assura que la liberté religieuse est garantie par la Constitution, mais l'enseigne..: ment marxiste est obligatoire dans les écoles et aucun enseignement religieux n'est toléré. Bien qu' Alma-Ata ait été une ville musulmane pendant des siècles, pas une seulemosquée n'était en vue. » A Léningrad, l'unique et si belle mosquée bien connue était fermée par les autorités : « Deux hauts minarets exceptionnellement beaux, de chaque côté d'un dôme coloré, attirèrent notre attention au-delà du fleuve. Nous sûmes que c'était une mosquée construite par un émir de Boukhara. Après plusieurs requêtes à nos interprètes, nous fûmes conduits à la mosquée ... La grille était fermée. Il semblait que la mosquée n'avait pas été ouverte pendant les dernières années. Malgré la solidité de la construction, des parties croulaient et demandaient réparation... » A Moscou, une seule mosquée est ouverte « dans un très pauvre quartier où les maisons et masures 1'dfondrent le long des rues cabossée.s.. » Des Tatares assistaient à la cérémonie, u pour la Biblioteca Gino Bianco 149 plupart des vieux qui paraissaient pauvres dans leurs vêtements élimés ». Le Dr Riaz Ali Shah a constaté en outre que l'irréligion soviétique aboutissait en fait au culte de Lénine et de Staline qui exige constamment la prosternation des foules. (Maintenant le culte de Staline a pris fin, mais celui de Lénine bat son plein de nouveau.) Quant à l'islam, il « n'est pas complètement mort, mais semble passer par ses dernières convulsions ... » Les jeunes « sont tenus dans l'ignorance de leur religion qui, ainsi, va vers sa fin lentement et imperceptiblement ». Le même observateur clairvoyant a noté enfin le chauvinisme grand-russien débordant qui contredit de manière flagrante les déclarations égalitaires officielles. A Tachkent, il a vu les Russes toujours mieux. vêtus que les natifs et occuper la majorité des postes responsables dans l'administration. A l'école de médecine et à l'hôpital, « soixante pour cent des élèves et du personnel étaient Russes occidentaux. L'enseignement se fait en langue russe, mais pour les étudiants ouzbeks qui ne savent pas le russe, des conférences sont données en leur langue pendant qu'ils apprennent le russe ». A Alma-Ata, même état des choses. Enfin la mission médicale du Pakistan, prise en main par les guides et les interprètes (de la police), soumise à un horaire spécialement surchargé, n'eut pas la liberté de mouvement nécessaire à une véritable enquête. Ainsi témoigne sans haine et sans crainte un musulman distingué, sans idées préconçues. Quant à la phraséologie soviétique, des textes abondent sur l'incompatibilité irréductible entre le communisme et la religion. On peut en citer d'autres suivant lesquels « le Coran est en harmonie avec le programme communiste » et « il n'y a pas de différence essentielle entre le sociali~me et l'islam ». Dans ce double jeu perpétuel, l'Etat totalitaire a recours tantôt à ceux-ci, tantôt à ceux-là, compte tenu des circonstances de temps et de lieux. La religion doit surtout servir aux desseins de la diplomatie impérialiste de Moscou et du colonialisme soviétique : l' orthodoxie chrétienne dans les pays slaves, l'islam en Asie et en Afrique. L'université Al-Azhar a condamné plusieurs fois la doctrine communiste - athée et matérialiste. Mais les politiciens de tous bords croient toujours tirer profit immédiat des combinaisons temporaires où les deux parties, la tête pleine d'arrière-pensées, croient ménager leur propre avenir. Or, l'avenir n'est à personne et le présent islamique en URSS devrait donner à réfléchir aux musulmans de partout, qu'ils soient pieux ou seulement tant soit peu fidèles à leur héritage millénaire. Ce présent, un Caucasien mahométan en exil, A. Berg, le résume (La politiquemusulmanede Staline, dans le Caucase, n08 2 et 3, septembre-octobre 1951) de la manière suivante :
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