Le Contrat Social - anno III - n. 3 - maggio 1959

146 . de feu, les angoisses de toutes sortes et le « blackout » des informations, le tumulte des propagandes. Rien d'authentique ne transpirait des frontières hérissées de fortifications et de miradors, de barbelés et de casemates. Après la guerre seulement, les vérités se firent jour et de nouvelles pages d'histoire des musulmans en URSS furent écrites, hallucinantes. La radio de Moscou avait diffusé de brèves et rares informations officielles sur la solidarité de l'islam soviétique avec la «mère-patrie». Le mufti d'Oufa, promu à la dignité de doyen, Abdurahman Rassoulaiev, avait lancé un appel au combat contre l'envahisseur « germano-fasciste » (18 juillet 1941). Une conférence soviétoislamique s'était tenue en mai 1942 pour appuyer moralement l'effort de guerre. Un meeting musulman eut lieu le 13 août 1942 au Caucase du Nord, à Ordjonikidzé. L'agence Tass transmit le 16 décembre 1944 une déclaration faite par Rassoulaiev à New Delhi, annonçant la réouverture de dix mosquées en URSS et promettant davantage. La réalité ultérieurement connue devait singulièrement contraster avec les versions de la propagande. Le 26 juin 1946 fut publié dans les lzvestia de Moscou un décret << concernant la suppression de la République socialiste soviétique autonome tchétchène-ingouche et la transformation de la République socialiste soviétique autonome de Crimée en région de Crimée». , Un très laconique exposé des motifs accusait « beaucoup de Tchétchènes et de Tatares de Crimée» d'avoir rejoint pendant la guerre des unités de volontaires pour combattre l'armée rouge et, en .outre, reprochait à « la masse principale de la population des Républiques tchétchène-ingouche et de Crimée de n'avoir rien en~repris contre ces traîtres à la patrie». En conséquence, les Tchétchènes et les Tatares criméens étaient d'ores et déjà « réinstallés » dans d'autres régions, c'est-à-dire à parler net déportésen Sibérie sous un climat meurtrier pour eux, et leurs noms mêmes effacés de la carte. On sut rétrospectivement que le décret sanctionnait un fait accompli en réalité depuis 1944. · · Deux petits États musulmans rayés d'un trait de plume, sans plus d'explications ni de justification, et · dans quelles conditions ? Pourquoi les Tchétchènes, les Ingouches et les Tatares de Crimée auraient-ils fait brusquement cause commune avec l'ennemi ? N'avaient-ils pas toujours voté à l'unanimité, selon les assertions du gouvernement de Moscou, avec confiance et enthousiasme pour les candidats comm11nistes ? Et signé, contresigné mille adresses, résolutions et ordres du jour de dévouement illimité ~ Staline ? La presse et la radio de l'URSS n'ont-elles pas en toutes circonstances fait état de l'adhésion indéfectible des allogènes soviétisés à la politique du régime soviétique ? Bib1iotecaGin.aBianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE Un des rares survivants de la nation tchétchène qui soient actuellemefit réfugiés à l'étranger, Abdurahman Avtorkhanov·(A. Ouralov), a publié en russe un exposé succinct des malheurs de ses compatriotes et coreligionnaires sous le titre : Le Génocideen URSS. L'extermination du peuple tchétchène (Munich, Éditions du Caucase libre, 1952). 11 y relate les, principaux épisodes de la lutte héroïque et opiniâtre où les Tchétchènes et les Ingouches ont- fini par succomber dans l'ignorance et l'indifférence du monde musulman comme du monde chrétien et profane. Les Tchétchènes et les Ingouches, peuples montagnards étroitement apparentés, avaient été réunis le 15 janvier 1934 en un « Territoire autonome » qui fut érigé en République autonome le 5 décembre 1936 « sous le soleil de la Constitution stalinienne ». Mais· te 23 février 1944, toute la population musulmane, environ 700.000 âmes, fut arrachée de vive force en vingt-quatre heures à ses aouls ( villages de montagne) et bannie à jamais du pays natal. Ce jour-là, fête de l' Armée rouge, les soldats qui occupaient en nombre le territoire depuis plusieurs semaines, sous prétexte de manœuvres, allumèrent des feux de joie autour desquels se rassemblèrent les habitants pour assister en curieux aux danses et aux chants de la troupe. Personne ne se doutait de la machination ainsi organisée. Soudain les soldats, sur un signal, se ruèrent sur les hommes présents et les firent prisonniers. Parmi ces derniers, ceux qui avaient une arme et tentèrent de se défendre furent tués sur-lechamp. L'armée procéda aussitôt à des perquisitions et à l'arrestation de tous les indigènes mâles, cependant-que les femmes et les enfants recevaient l'ordre de se préparer au départ. Les malheureux ·furent entassés à coups de crosse dans des wagons à bestiaux, traités avec une inhumanité indicible, tandis que se cons11maient leurs aouls systématiquement incendiés. · De ces scènes d'horreur, on a plusieurs récits dont notamment celui d'un des étudiants russes mobiijsé,s à Grozny comme auxiliaire de ces · dragonnades (Prometheus, n° 3, Augsbourg, mars 1949). D'autres témoins ont rapporté sur .les viols et les violences dont tant .d'innocents se . trouvèrent .victimes. Les déportés privés d'eau et de· nourriture, transportés en _ plein hiver durant des semaines vers et à travers la Sibérie glaciale, périrent en masse de froid, d'inanition et du typhus. Beaucoup ont dû mourir ou agoniseraient encore dans les bagnes insalubres sous le régime pénitentiaire impitoyable instauré par Staline si ce dernier n'était décédé en mars 1953. Les Tchétchènes-Ingouches qui servaient loyale-_ ment dans l'armée en furent retirés pour partager le sort de leurs frères de misère et de douleur. Quels crimes avaient donc commis les bannis du Caucase pour être ainsi voués à l'anéantissement ? 11 n'est pas vrai qu'ils aient « collaboré » avec les Allemands, ceux-ci n'ayant pas pénétré

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