P.BARTON Cunow 16 et Rosa Luxemburg, dans son Introduction à l'économie nationale 17 , y prêtèrent • attention. L'œuvre de Wittfogel pourrait être comparée, quant à son importance, à l'ouvrage de Kautsky mentionné. Cependant, elle .est à son tour marquée du paradoxe qui caractérise les travaux marxistes. En particulier, la portée des passages que nous avons relevés dans la lettre du 14 juin 1853 et dans l'ébauche du Capital semble avoir échapppé à Wittfogel. Sa présentation de là conception marxienne de la société asiatique est dès lors fort discutable; les jugements qu'il porte sur cette conception 18 le sont, évidemment, davantage encore. 11 n'en reste pas moins que par son sérieux scientifique, l'ouvrage se distingue des écrits des épigones et comble une importante lacune. * lf- lfDANS Oriental Despotism, A Comparative Study of Total Power, les sociétés dominées par le despotisme sont examinées successivement de divers points de vue. L'auteur entreprend leur description et leur analyse ; il recherche pour ainsi dire l'essence de ces sociétés, il étudie l'histoire des idées touchant au despotisme, en particulier les idées marxistes, et tente de dégager des perspectives historiques. Il obtient ainsi un tableau très complet des sociétés en question. Essayons d'en résumer l'essentiel. La structure et la méthode de gouvernement propres au despotisme correspondent à un niveau déterminé de développement économique, qui se situe entre l'économie purement extractive et la civilisation industrielle. Elles peuvent surgir là où l'homme a appris à cultiver la terre et où, faute de pluie, l'approvisionnement des champs en eau dépend de l'irrigation. La production proprement dite présuppose alors, tout comme dans l'industrie moderne, quantité d'opérations de préparation et de protection. Par exemple, chez le paysan chinois, l'irrigation peut absorber entre vingt et cinquante pour cent de la durée du travail. Deux possibilités se présentent en pareille situation : la petite exploitation Y-ratiquant l'irrigation par ses propres moyens (Wittfogel donne à ce type le nom d'hydroagriculture) et l'agriculture basée sur de grands travaux hydrauliques entrepris sous la direction du gouvernement (« agriculture hydraulique» dans la ter,oinologie de l'auteur). 16. Heinrich Cunow : Die so•iale Verfassung du lnkareiclu, Stuttgart 1896 ; Id. : Guchichte und Kultur dei lnkareicJu, Stuttaart 1927; Id. : Allgnneine Wirt1chaftsgeschichte, t. I et II, Stuttgart, Dictz Vcrlag, 1926-1927. 17. Rota Luxemburg : Ausgewa,hlte Redm und Schri/tm, t. I, Berlin, Dietz Vcrla1, 1951, pp. 592-621. 18. Cf. 1, Contrat 1ocial, mai 1957. Biblioteca Gino Bianco 137 La différence entre les deux solutions n'est pas seulement technique. La seconde est virtuellement génératrice du despotisme. Elle nécessite une division poussée du travail, et ce à un double point de vue. D'abord, les opérations de préparation et de protection se distinguent ici des travaux agricoles. La division du travail appartient ainsi, avec la culture intensive et la coopération à une grande échelle, aux caractéristiques fondamentales de l'économie hydraulique. Cependant, cette division se distingue de celle pratiquée dans l'industrie moderne autant qu'elle la rappelle. En effet, elle n'engendre pas la division de la main-d'œuvre. Les hommes utilisés aux grands travaux ne deviennent pas pour autant « ouvriers hydrauliques ». Ce sont pour la plupart des paysans qui cultivent leurs champs et sont mobilisés de temps à autre pour les travaux publics. Une autre division du travail s'opère en même temps : les fonctions de direction se trouvent séparées des travaux manuels. La tâche du pouvoir qui se charge des vastes entreprises d'irrigation ne se limite pas, tant s'en faut, à la réquisition de la main-d'œuvre et à la mobilisation des matériaux indispensables. Le pouvoir doit assumer toute une série de fonctions supplémentaires qui peuvent influer de façon décisive sur l'économie hydraulique. 11 lui faut étudier l'astronomie, créer le calendrier, chronométrer, mesurer, procéder en un mot à toutes sortes de calculs, recenser la population, tenir les livres de comptes, organiser les travaux, maintenir la discipline, répartir les eaux, s'approprier les ressources nécessaires au moyen de la corvée, des impôts et des confiscations. Ainsi se développe un puissant État-patron (managerial state), qui ne se limite nullement aux travaux hydrauliques. Aux digues et aux canaux d'irrigation s'ajoutent aqueducs et réservoirs d'eau potable, canaux de navigation, forteresses, routes, villes, palais, tombeaux, temples somptueux. Les énormes moyens dont dispose l'État et son savoir-faire en matière d'organisation impliquent également le développement de l'art mi1itaire et l'organisation des transports et de la poste, qui constituent en même temps un service de renseignements éprouvé, une des réalisations les plus accomplies du despotisme 19 • Avec cet extraordinaire épanouissement de l'État contraste le faible développement des classes sociales. Rappelons l'absence de division de la main-d'œuvre entre grands travaux et agriculture et, phénomène sur lequel insistait Marx, l'union organi'\ue de cette dernière avec l'industrie domestique dans l'Inde et en Chine 20 • Il faut mentionner dans le même ordre d'idées la fai19. Notons en passant que dans l'Empire inca, 1•admirable r~seau de routes et de ponts suspendus n fut utilis~, selon toute apparence, que par les fonctionnaires n mission officielle (cf. Rafa 1 Karsten, op. cit., p. 88). ao. Marx on China, pp. 64, 87, 90-92.
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