32 rient~ 18 Nul doute qu'il ne fût influencé par les rares, mais suggestives remarques de Marx et Engels · à ce sujet. Cependant il continua ·de développer une analyse originale et frappante, s'appuyant sur de savants écrits non marxistes pour · étoffer sa conception. Dès le début de I 884, mais surtout à partir de 1888 19 , des ·passages consacrés à ce thème apparaissent dans ses écrits. Bien qu'elles n'eussent jamais été exposées systématiquement, ces idées furent suffisamment reprises, formulées; complétées -et développées pour qu'on puisse reconstituer ·un tout assez cohérent. · Ces conceptions de Plékhanov devinrent partie intégrante et vitale de son interprétation tant du passé que du développement co11temporain . de· la Russie. De plus,· elles· devaient figurer en botine place dans certaines controverses sur le programme et la stratégie du -parti social-démocrate russe lors de la révolution de 1905. 20 Comment Plékhanov développait-il l'idée de la Russie comme « société orientale» ? Pour plus de commodité, l'analyse de la conception de Plékhanov sera divisée en trois parties, à savoir ·: 1. Genèse ·du « despotisme oriental » russe ; 2. Nature du système une fois cristallisé ; 3. Son effondrement. SUR . LES -origines de l'ancien ordre russe, Plékhanov est le moins satisfaisant. Hegel, dans sa Philosophie de l'histoire, expliquait le despotisme en Orient par le fait que la société orientale représentait seulement le - premier des trois stades dans le progrès de la Raison depuis sa première manifestation jusqu'à - sa réalisation complète dans l'histoire. Le progrès de la Raison apparaissait dans l'histoire comme la croissance de la liberté; et puisque dans sa première apparition dans. l'histoire - la Raison se manifestait d'une manière fort limitée, la - liberté. .dans la société orientale n'appartenait qu'à un seul homme, le souverain, qui dès lors était un despote. 21 Bien qu'il admirât profondément Hegel 22 , Plékhanov- en tant que matérialiste ne pouvait 18. Ainsi, èn 1888, il écrit que les Russes et les autre·s Slaves sont « quelque chose d'intermédiaire entre les peuples européens et les asiatiques », Sotchinénia, III, p. 22. Mais sept ans plus tard, un de ses articles comprendra ceci : « L'ancienne Russie moscovite se distinguait par son caractère entièrement asiatique. » Ibid., X, p. 154. 19. Les premières ~é larat~ons figurent ~ans Ibid., II, pp. 236, 239. Un passa écrit en 1888 (Ibid., III, p. 21) contient d'importants atériaux. Dans les années 1890, Plékhanov reviendra souvent sur ce thème. 20. Au congrès de Stockholm, Plékhanov attaqua le programme agraire de Lénine qu'il croyait propre à faciliter la restauration du despotisme. Ibid., XV, pp. 67-70. 21. Hegel, op. cit. 22. Cela est évident dans n'importe laquelle de ses œuvres, notamment dans Pour la défense du matérialisme (en français : le Matérialisme militant, Paris- 1930 ; 2e éd. plus complète, Paris, 1957), dans Essais sur l'histoire du matérialisme (Paris,· 1957), et dans son article commémorant le soixantième anni~ versaire de la mort de Hegel ( Sotchinénia, VIII). Biblioteca Gino Bianco DÉBATS.ET RECHERCHES guère appuyer et adopter l'interprétation mystique du dialecticien allemand. A un certain moment, il en vint à reconnaître la signification de la gestion des grands travaux hydrauliques pour l'instauration d'un despotisme centralisé dans des pays tels que l'Égypte, la Perse, l'Inde et la Chine. 23 Mais cette clef s'avéra inopérante pour résoudre le problème du despotisme russe. En une occasion, Plékhanov mentionne l'impact de la conquête mongole comme facteur ayant contribué à l'évolution du système qu'il appelle «chinois» 24 ;· mais il ne développa jamais ce thème que Wittfogel considère comme fondamental pour la transformation de la Russie en un despotisme oriental 25 • A la fin Plékhanov en vint à expliquer le despotisme russe comme conséquence de l'effort accompli pour édifier un grand État sur la base d'une économie agricole primitive. Cette interprétation qu'il soutint dans les années 1890 représentait à maints égards une rupture avec les idées de Marx et d'Engels · sur le despotisme russe, idées qui avaient façonné la pensée initiale de Plékhanov. 26 L'un de ses premiers exposés ·sur le problème - fidèle paraphrase d'Engels 27 - vaut d'être cité afin d'illustrer ses premières opinions en la matière comme à titre de comparaison avec ses formulations ultérieures 28 : · · Pa~tout et toujours, dès que l'établissement.de grands États a commencé, ~es communes agricoles et leur ordre . . 23. Il ne semble pas avoir été frappé par l'allusion que fait à cela Engels dans l' Anti-Dühring (Paris, 1911, sous le titre : Philosophie, économie politique, socialisme). Mais le livre du géographe Metchnikov, la Civilisation et les grands fleuves historiques, dont Plékhanov rendit compte en 1890 ( Sotchinénia, VII) fixa cette conception dans son esprit et il en parla plus d'une fois par la suite. 24. Ibid., XV, p. 33. 25. Oriental Despotism, pp. 225 et passim. Marx lui-même l'avait dit dans une série d'articles (dans London Free Press) que Plékhanov ignorait manifestement. Voir The Rus sian Menace _toEurope, publié par P. Blackstock et B~ Hoselitz (Glencoe, · 1952), p. 254. Plus récemment, les professeurs Vernadski et Florinski ont effleuré cette question. Vernadski discute assez longuement l'influence des Mongols sur la Russie dans The Mongols and Russia (New Haven, 1953), · pp. 331-.90. Florinski fait allusion à l'influence politique dans Russia, A History and an lnterpretation (New York, 1953), 1, p. 63.- 26. Plékhanov connaissait déjà certainement l' AntiDühring et la polémique d'Engels avec Tkatchev, écrits tous deux en 1875 et qui contiennent d'importants passages sur ce thème. Axelrod rapporte que lors d'une visite à Plékhanov en 1880,- il vit un exemplaire de l' Anti-Dühring ouvert sur son bureau. Cf. P. B. Axelrod, Perejitoïé i Peredouman• noié (Berlin, 1923), p. 422. Une traduction anglaise de la polémique d'Engels avec Tkatchev ·figure dans K. Marx and F. Engels: The Russian Menace to Europe, 203-15. Les commentaires de Marx sur la question se trouvent, en majeure partie, dans des lettres et d'obscurs articles de journaux que Plékhanov, selon toute probabilité, ne connaissait pas au moment où il développait sa propre conception. Certains de ces écrits de Marx sont dans ibid., pp. 108, 22-4, 254 et passim. Plékhanov connaissait de toute évidence les passages y relatifs dans le Capital (t. 1) puisqu'il en cite un dans « Nos désaccords» (Sotchinénia, II, p. 236). 27. Anti,.Dühring. Voir aussi de pertinentes remarques sur la polémique d'Engels avec Tkatc;hev dans The Russian Menace to Europe, pp. 211-2. 28. Sotclun4nia, III, p. 21.
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