S. H. BARON patriarca~ on~ servi de base la plus stable au despotisme ... La Russie n est pas une exception à la règle générale. Les autocrates de Moscou et de Pétersbourg étaient les compléments naturels de son système économique caractérisé par la prédominance complète du village sur la ville. Selon cette présentation, on est en présence d'un cert~ ordre, socio-éc?nomique qui, lorsque la formation de 1 État a lieu, produit « naturellem~nt .» 1;1Il despotisme politique, puis devient partie mtegrante - « la base la plus stable » - du système despotique. L'ordre institutionnel en q~estion est une société primitive, car Plékhanov t~natt _que _ces communes étaient apparentées, smon 1denttques, aux communes tribales originelles qui, enseignait Engels, ont été une première forme de la vie sociale parmi tous ces peuples. _ 29 Cette société agraire primitive se c?mposat~ donc de communes ~gricoles (propriéte collecttve de la terre) orgarusées sur une base d'autorité patriarcale et dont chacune semblerait avoir fonctionné comme une économie naturelle, se suffisant à elle-même. A ce système, croyait Plékhanov, un puissant seigneur imposait d'une faç'!n ou d'~e autre son pouvoir despotique. Mats en laissant ce processus complètement inexpliqué, il demandait à ses lecteurs d'en accepter beaucoup en toute confiance. Il ne dit pas d'où venait le despote, qui il était, comment il parvint à établir sa domination et, chose la plus importante et la plus mystérieuse, en quel sens le nouveau despotisme était-il le complément « n~turel » du système économique. L'argumentation de Plékhanov, jusqu'à .ce point, reposait presque exclusivement sur les remarques de Marx et d'Engels. Ce qu'il demandait à ses lecteurs de croire sur parole, il l'avait pris lui-même de confiance chez ses maîtres. Plékhanov a dû être conscient de la difficulté d'ad~~ttre _l'exl?lication de toute une grande trans1tton historique sans aucune référence aux données historiques. Quoi qu'il en fût, il continua à se familiariser avec les recherches de divers ~rudits russes. Puis, au milieu des années 90, il avança une conception profondément révisée - et plus convaincante - des origines de la société orientale russe. * '1- '1CET TE VOLTE-FACE était une remarquable démonstration d'indépendance intellectuelle, car elle implique la réfutation d'une position que Marx et Engels avaient affirmée plus d'une fois, et cela sur la base de preuves apportées par des non-marxistes. Sous l'influence de Tchitchérine et d'Efimenko, Plékhanov jetait par-dessus bord 29. Dans• Nos D~saccords » (ibid., II, p. 251), il d~finissait la commune rurale comme l'un des stades de la d~sagr~gation de la commune primitive. En consid~rant la commune rurale comme une forme de la commune tribale, Pl~khanov ~tait d'accord tant avec Engels qu'avec son propre pas,~ de narodnile. Car Tchernychevski, c~l~bre th~ricien populiste, avait Mau~ à ses disciples la notion que la commune russe du x1x• 1ikle itait une 1urvivance de la commune dei temps primitifs. . Biblioteca Gino Bianco 33 son interprétation de la commune rurale comme base sur laquelle le despotisme était apparu, pour ·adopter une vue opposée selon laquelle la commune fut pour une grande part une improvisation de l'État russe naissant. 3° Cela signifiait que la commune des époques moscovite et pétersbourgeoise ne pouvait être identifiée avec la commune tribale des sociétés primitives. Cette institution, selon Plékhanov, était tombée en décadence plus tôt. Et sa décadence s'était accompagnée de l'effondrement du principe de propriété collective du sol pour faire place à une forme intermédiaire mal définie entre. la propriété foncière individuelle et la communale. 31 Les chefs de l'État moscovite en voie de consolidation avaient ainsi dans leurs limites un domaine agricole avec une base d'économie naturelle, une classe paysanne personnellement libre et en possession de la terre qu'elle cultivait. Mais le coût des moyens militaires et administratifs de l'État en expansion ne pouvait être couvert par les seuls paysans qui, quoique leurs techniques fussent primitives et la productivité basse,· constituaient néanmoins le seul groupe productif de quelque conséquence. Afin de tirer de cette économie primitive les importantes ressources nécessaires pour entretenir l'appareil de l'État et la pompe de la cour, des mesures draconiennes étaient nécessaires 32 , et elles furent instituées sans excuses ni regrets. Plékhanov affirme que l'État s'était arrogé le droit de prendre virtuellement toute la propriété foncière, devenant ainsi maître des moyens de production. Le laboureur fut d'abord dépossédé de sa terre, puis de luimême, c'est-à-dire de sa liberté. Peu à peu toute la population fut convertie en esclaves· de l'État, car ce système d'organisation ne s'étendit pas aux seuls paysans. Après les historiens Kostomarov et Klioutchevski, Plékhanov faisait valoir que les serviteurs de l'État furent dans une situation analogue. On leur accorda pour leur entretien des terres peuplées, à condition qu'ils servissent l'État, et ces terres pouvaient leur être enlevées s'ils cessaient de servir. De même - fait particulièrement significatif - les titres de propriété des détenteurs de terres héréditaires ne furent plus honorés ; pour les conserver, il fallait servir l'État. 33 Mais, peut-on demander, quelle était la relation de la commune rurale à tout cela ? Sans indiquer si l'État créa l'institution de toutes pièces ou s'il l'édifia sur des structures existantes, Plékhanov insistait sur le fait que ses traits les plus caractéristiques furent institués 30. Ibid., IX, pp. 135-8. 31. Ibid., p. 136. Ce point important, Pl~khanov l'affirme plutô~ qu'il ne le prouve. Mais il admet que beaucoup de questions restent encore san r~ponse puisqu'il y a de nom• breuses obscurit~s sur l'histoire de la proprilt~ fonci~re russe. Ibid., p. 13s. 32. Ibid., pp. 136-7. C th~me est repri mainte fois dans les œuvres postlrieures d Pl~khanov. 31· Ibid., III, pp. 3s8-9 ; XV, pp. 33-4. •
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