Le Contrat Social - anno III - n. 1 - gennaio 1959

• S. H. BARON tant aux États-Unis 9 qu'à l'étranger 10 • L'anthropologiste Julian Steward a attesté « l'immense stim1tlant » donné à certaines recherches anthropologiques par les conceptions de Wittfogel. 11 En revanche, la proposition faite par celui-ci, il y a quelques années, aux spécialistes de l'histoire russe de réviser leur sujet dans cette perspective 12 n'a pas eu d'écho jusqu'à présent. Wittfogel tente lui-même de réinterpréter l'histoire de la Russie à travers les catégories du despotisme oriental. Ce faisant il montre que les conceptions de Marx et d'Engels ainsi que de Lénine assimilant la Russie tsariste à un despotisme oriental n'ont pas de secrets pour lui. Mais son ouvrage n'accorde pas toute l'attention voulue à l'œuvre de Georges Plékhanov 13 qui alla bien plus loin que Marx et Engels dans le développement de ce thème, lequel influença indéniablement les idées de Lénine sur la question et à bien des égards devança Wittfogel lui-même dans l'analyse de la Russie comme despotisme oriental. En effet, bien que personne n'ait encore attiré l'attention là-dessus, cette idée devint centrale pour Plékhanov dans sa compréhension du passé, du présent et de l'avenir de la Russie. Comme chef de la lutte contre le tsarisme, sa stratégie révolutionnaire se fondait sur la conviction que la Russie représentait une société orientale qui s'effritait sous le poids des influences occidentales. Le présent article se propose d'établir la position de Plékhanov et sa contribution à l'étude du despotisme oriental, puis de clarifier la place que cette conception tenait dans son interprétation de l'histoire de la Russie comme dans son dessein de révolution. PLÉKHANOVd, ont la · vie embrasse l'époque riche d'événements qui va de l'humiliante défaite russe dans la guerre de Crimée aux temps mouvementés qui précédèrent immédiatement la révolution bolchévique, occupe un socle éminent dans le panthéon intellectuel russe. Bien que sa vie fût consacrée à la lutte révolutionnaire sous la bannière du marxisme, il a été reconnu par des hommes d'orientations diverses pour l'un des Russes les plus doués, cultivés et influents 9. Cette influence est évidente par exemple dans ces récents ouvrages : J. K. Fairbank : The United States and China (Cambridge, 1948), pp. 53 sqq. ; W. W. Rostow : The Prospects of Communist China (New York, 1954), pp. 103 sqq.; F. Michael et G. Taylor : The Far East in the Modern World (New York, 1956), ch. I. 10. L'influence des idées de Wittfogel sur les études japonaises concernant la Chine est attestée dans J. K. Fairbank et M. Banno : Japanese Studies of Modern China (Rutland, Vt., I9SS), pp. 24, 27-8. 11. Irrigation Civilizations : A Comparative Study (Wa1hinaton, 19SS), 1. 12. K. A. Wittfogel: • Russia and Asia », World Politics, Il (juillet 1950). 13. Wittfogel mentionne bien la part prise par Plékhanov à l'inœresaant dtbat qui eut lieu au congr~s de Stockholm du parti IOCial-dânocrate ouvrier de Russie en 1906 (Ori,ntal D,,potims, pp. 391-3), mai• il a peu à y ajoutersur les contribuuon, du • p~redu marxi1merusse • à ce th~me. Biblioteca Gino Bianco 31 de son époque. 14 Pendant les premières années de sa carrière révolutionnaire (1875-1881), il avait épousé sans réserve le point de vue narodnik (populiste) qui mettait l'accent sur le caractère unique de la vie et des institutions russes. Selon les populistes, l'ordre social russe non seulement différait de celui de l'Occident, mais il était en avance sur lui ; et grâce à leurs institutions propres, par-dessus tout la commune rurale, les Russes étaient destinés à atteindre·le socialisme - supposé stade suprême du développement social - avant tout autre peuple. En 1880, Plékhanov quitta la Russie pour ce qu'il croyait devoir être un bref interlµde. Mais en fait, il passera pratiquement le reste de sa vie en Europe occidentale. Là de nouvelles circonstances et de nouvelles idées firent rapidement de lui un marxiste et, de surcroît, un des plus ardents occidentalistes de son temps. 15 Sur sa position nouvelle, il persista à trouver des différences fondamentales entre la Russie et l'Occident, mais désormais il répudiait comme illusions chauvines toutes les notions relatives à la supériorité russe. 11 croyait avec ferveur que la Russie venait à peine de s'engager dans une voie de développement qui, à la longue, devait l'élever au niveau. social, politique et culturel déjà atteint par l'Occident. Quant au socialisme, loin de revendiquer pour son pays natal le rôle de pionnier, il se contentait de prévoir la transition de la Russie à ce système social dans le sillage des pays occidentaux plus mûrs. 16 En observant la Russie, de son exil en Europe occidentale, Plékhanov était profondément impressionné par ce qu'il prenait pour la stabilité inébranlable, au cours de nombreux siècles, de sa vie économique et sociale. ·certains penseurs, de Hegel au début du xixe siècle à Toynbee de nos jours, ont toujours été frappés par l'immuabilité apparemment millénaire de sociétés comme celles de l'Égypte antique, de la Chine et de la Perse. 17 Le parallélisme que Plékhanov discernait entre ces pays et la Russie, tant à cet égard qu'en ce qui concerne le despotisme, l'amena à désigner l'ancienne Russie (postmongole) comme une « société orientale » ou, plus souvent, « semi-orientale », située entre les systèmes sociaux de l'Occident et ceux de l'O14. Voir par exemple les commentaires d'lsaiah Berlin dans son compte rendu de « Pour la défense du matérialisme » de Plékhanov, Slavonie and East European Review, XXVIII (nov. 1949); V. V. Zenkovsky: A History of Russian Philosophy (New York, 1953), II, pp. 739, 740; F. Dan: Profskhojdénié bolchévisma (New York, 1946), p. 193. 1 S. Sur la transformation de Plékhanov de narodnik en marxiste, voir notre article « Plekhanov and the Origins of Russian Marxism », The Russian Review, XIV (oct. 1955), pp. 315-30. 16. Plékhanov : Sotchin,nia (Moscou, 1923-7), II, p. 79. 17. Hegel parle de l'état «végétatif• de la société orientale dans sa Phi/osophi, d, l'histoire. Toynbee décrit l'ancienne société égyptienne • non pas tant comme un organisme vivant que comme un organisme mort mais non enterré. Plus de la moitié de l'histoire de ragypte est un gigantesque ipiloaue •· A Study of Hi1tory, tdition abrta~ (Londres, 1946), p. 30. •

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