Le Contrat Social - anno II - n. 6 - novembre 1958

G. HBNBIN cette dernière, un excellent substitut des droits abolis. Ce que l'on pourrait appeler l'usufruit autoritajre s'inscrit, dès lors, dans la nature de la société nouvelle comme l'un des principaux attributs du pouvoir. _ Bruno R. ne s'embarrasse pas d'un cortège de nuances. L'idéologie est bonne fille, tant il est vrai qu'un homme pris en flagrant délit de tyrannie cherche aujourd'hui l'innocence dans les idées. Le rite de l'absolution idéologique a couvert, depuis 1917, d'effrayantes hécatombes ' . . que nos peres, moms sournois et pervers que nous, eussent mises au compte de la violence conquérante. Bruno R. ne montre pas de goût pour ces pratiques dérisoires. 11 tourne le dos aux schémas et s'exprime ainsi (p. 49) : La propriété de classe qui, en Russie, est un fait, ne résulte certainement d'aucun enregistrement notarié. La nouvelle classe exploiteuse soviétique n'a pas besoin de ces balivernes. Elle a la force de l'État en main et cela vaut beaucoup plus que les vieux enregistrements de la bourgeoisie. Elle sauvegarde sa propriété avec des mitrailleuses et non par des actes notariés. Sur la persistance et l'attribution de la plusvalue, relevons aussi ces notations tranchantes (p. 48) : On a chanté le De Profundis du capitalisme dans toutes les langues. Il nous semble que la tâche des marxistes scientifiques, dépositaires de la dialectique de la lutte des classes, n'est pas de se tirer d'affaire par une définition banale. Leur tâche, à ces marxistes, c'est précisément de voir quel est le mouvement des classes et ensuite de fixer les nouveaux rapports sociaux. Nous voyons ainsi que la célèbre plus-value n'a pas disparu, même dans cet État-devinette qu'est l'Union soviétique. Là-dessus, tout le monde est d'accord, tandis que les discussions surviennent lorsqu'il s'agit de déterminer où cette plus-value va finir. Est-ce qu'elle va à la bourgeoisie inexistante ? Non. Peut-être va-t-elle aux ouvriers ? Point du tout. En réalité, il n'y a qu'une seule réponse possible et admissible : la plus-value passe à la nouvelle classe exploiteuse, à la bureaucratie en bloc. CB QUE Djilas a découvert et exprimé au terme d'une dégrisante expérience personnelle, Bruno R. le proclamait, dix-huit ans plus tôt, en sabrant dans le vif. On connaît le diagnostic de Trotski· au sujet de l'URSS : C'est, disait-il, un État ouvrier dégénéré. Bruno R. ne s'arrête pas à ce propos. Toute son argumentation tend, bien au contraire, à établir que l'URSS est un État qui n'a rien d'ouvrier, hors le fait que sa puissance a pour condition l'asservissement planifié de la classe ouvrière. Autant vaudrait dire qu'une prison où sont détenus quelques centaines de prolétaires est une habitation ouvrière dégénérée. Mais si Bnioo R. préfigure à sa manière le retournement de Djilas, il annonce, dans une bienplus largemesure encore, les développements Biblioteca Gino Bianco 367 théoriques de James Burnham. Impressionné à la fois par l'entreprise du New Deal et par l'intervention systém.atique des régimes fascistes dans les moindres secteurs de la vie sociale, il ne résiste pas à la tentation de faire se rejoindre et se nouer des forces auxquelles il prête, avec quelque légèreté, un mode de cohérence supérieur. L'excroissance fabuleuse de la bureaucratie en URSS n'est, à ses yeux, qu'un cas particulier d'une immense métamorphose des pouvoirs. Et cette métamorphose est le produit des vraies révolutions manquées. Il y discerne, pour sa part, l'aventure distinctive du xx0 siècle. Page 173, il écrit : Le pouvoir économico-politico-administratif se résoud en une synthèse gouvernementale qui, en Russie, est déjà totale, partielle dans les États totalitaires, et qui commence dans les grandes démocraties. Dans le flux et le reflux des combats, une entité subsiste : l'État. Ici, l'organe crée la fonction. L'État devient le pivot du regroupement social qui s'opère, l'instrument de la concentration disciplinante qui prétend résorber les antagonismes. Il devient, du même coup, un vaste terrain parasitaire, un laboratoire de faux en tous genres. Quand Bruno R. décrit, en dehors de l'URSS, la montée de la nouvelle formation dirigeante, il formule une variété de « managérialisme » avant la lettre. « L'État, écrit-il, devient le patron et le directeur économique par l'entremise d'une nouvelle classe privilégiée à laquelle la société devra, au cours d'un nouveau chapitre de l'histoire, payer les frais de cette direction » (p. 251). Et d'ajouter que les bénéficiaires de cette promotion « ne poursuivent pas comme but l'accumulation indéfinie de la richesse individuelle ». Ils organiseront la production « non pas dans un sens spéculatif, mais avec une tendance vers l'augmentation absolue de la production ellemême, sans calculs capitalistes ». Si l'on se reporte à l'époque où ces lignes furent écrites, on conviendra qu'elles attestent, à tout le moins, une vision pénétrante et un sentiment très vif d'un déplacement social qui n'était alors qu'ébauché. Plus discutable est le jugement par lequel Bruno R. assigne aux maîtres de l'expérience bureaucratique des limites que ceux-ci se sont montrés, dans bien des cas, assez forts pour transgresser. « Si la bureaucratie ne peut démontrer qu'elle est capable d'élever le niveau économique des producteurs directs, son sort est décidé» (p. 251). Nous ne sommes pas sans savoir que l'armature défensive de la bureaucratie lui permet, lorsque précisément son sort est dans la balance, de réduire le niveau de vie des producteurs afin de__mieux assurer sa propre durée. La Bureaucratisation du monde est un livre déconcertant, par endroits irritant, mais aussi, à bien des égards, tonique. Nous commençons à nous habituer - cc qui ne veut pas dire à prendre goftt - à l'espèce de respectabilité maussade des gros traités explicatifs qui, depuis la fin •

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