356 pées persanes, dont la couleur locale est empruntée aux temps sassanides, Roustem veut construire un pont, il fait venir un djathalik (catholicos, nom des patriarches ou évêques nestoriens) en guise d'ingénieur. _,.._Lte rrible coup de vent de l'islam arrêta net, pendant une centaine d'années, tout ce beau développement iranien. Mais l'avènement des Abbasides sembla une résurrection de l'éclat des Chosroès. La révolution qui porta cette dynastie au trône fut faite par des troupes persanes, ayant des chefs persans. Ses fondateurs, Aboul-Abbas et surtout Mansour, sont toujours entourés de Persans. Ce sont, en quelque sorte, des Sassanides ressuscités ; les conseillers intimes, les précepteurs des princes, les premiers ministres sont les Barmékides, famille de l'ancienne Perse, très éclairée, restée fidèle au culte national, au parsisme, et qui ne se convertit à l'islam que tard et sans conviction. Les nestoriens entourèrent bientôt ces khalifes peu croyants et devinrent, par une sorte de privilège exclusif,leurs premiers médecins. Une ville qui a eu dans l'histoire de l'esprit humain un rôle tout à fait à part, la ville de Harran, était restée païenne et avait gardé toute la tradition scientifique de l'antiquité grecque ; elle fournit à la nouvelle école un contingent considérable de savants étrangers aux religions révélées, surtout d'habiles astronomes. Bagdad s'éleva comme la capitale de cette Perse· renaissante. La langue de la conquête, l'arabe, ne put être supplantée, pas plus que la religion tout à fait reniée ; mais l'esprit de cette nouvelle civilisation fut essentiellement mixte. Les parsis, les chrétiens l'emportèrent; l'administration, la police en particulier, fut entre les mains des chrétiens. Tous ces brillants khalifes, contemporains de nos Carlovingiens, Mansour, Haroun al-Raschid, Mamoun, sont à peine musulmans. Ils pratiquent extérieurement la religion dont ils sont les chefs, les papes, si l'on peut s'exprimer ainsi ; mais leur esprit est ailleurs. Ils sont curieux de toute chose, principalement des choses exotiques et païennes ; ils interrogent l'Inde, la vieille Perse, la Grèce surtout. Parfois, il est vrai, les piétistes musulmans amènent à la cour d'étranges réactions ; le khalife, à certàins moments, se fait dévot et sacrifie ses amis infidèles ou libres penseurs ; puis le souffle de l'indépendance reprend le dessus ; alors le khalife rappelle ses savants et ses compagnons de plaisir, et la libre vie recommence, au grand scandale des musulmans puritains. Telle est l'explication de cette curieuse et attachante civilisation de Bagdad, dont les fables des Mille et uneNuits ont fixé les traits dans toutes les imaginations, mélange bizarre de rigorisme officiel et de secret relâchement, âge de jeuJ;lésse' et d'inconséquence, oùJ.es arts sérieux et les arts de la vie joyeuse fleurissent grâce à la protection des chefs mal pensants d'une religion fanatique ; où le libertin, bien que toujours sous la menace des plus cruels châtiments, est flatté, recherché Biblioteca Gino Bianco PAGES RETROUVÉES à la cour. Sous le règne de ces khalifes, parfois tolérants, parfois persécuteurs à regret, la libre pensée se développa; les motecallemin ou « disputeurs » tenaient des séances où toutes les religions étaient examinées d'après la raison. Nous avons en quelque sorte le compte rendu d'une de ces séances fait par un dévot. Permettez-moi de vous le lire, tel que M. Dozy l'a traduit. Un docteur de Kairoan demande à un pieux théologien espagnol, qui avait fait le voyage de Bagdad, si, pendant son séjour dans cette ville, il a jamais assisté aux séances des motecallemin. « J'y ai assisté deux fois, répond !'Espagnol, mais je me suis bien gardé d'y retourner. - Et pourquoi ? lui demanda son interlocuteur. - Vous allez en juger, répondit le voyageur. A la première séance à laquelle j'assistai, se trouvaient non seulement des musulmans de toute sorte, orthodoxes et hétérodoxes, mais aussi des mécréants, des guèbres, des matérialistes, des athées, des juifs, des chrétiens; bref, il y avait des incrédules de toute espèce. Chaque secte avait son chef, chargé de défendre les opinions qu'elle prof essait et, chaque fois qu'un de ces chefs entrait dans la salle, tous se levaient en signe de respect, et personne ne reprenait sa place avant que le chef se fût assis. La salle fut bientôt comble, et, lorsqu'on se vit au complet, un des incrédules prit la parole : « Nous sommes réunis pour raisonner, dit-il. Vous connaissez tous les conditions. Vous autres, musulmans, vous ne nous alléguerez pas des raisons tirées de votre livre ou fondées sur l'autorité de votre prophète, car nous ne croyons ni à l'un ni à l'autre. Chacun doit se borner à des arguments tirés de la raison. » Tous applaudirent à ces paroles. - Vous comprenez, ajoute !'Espagnol, qu'après avoir entendu de telles choses je ne retournai plus dans cette assemblée. On me proposa d'en visiter une autre ; mais c'était le même scandale. » Un véritable mouvement philosophique et scientifique fut la conséquence de ce ralentissement momentané de la rigueur orthodoxe. Les médecins syriens chrétiens, continuateurs des dernières écoles grecques, étaient fort versés dans la philosophie péripatéticienne, dans les mathématiques, dans la médecine, l'astronomie. Les khalifes les employèrent à traduire en arabe l'encyclopédie d'Aristote, Euclide, Galien, Ptolémée, en un mot tout l'ensemble de la science grecque tel qu'on le possédait alors. Des esprits actifs, tels qu' Alkindi, commencèrent à spéculer sur les problèmes éternels - que l'homme se pose sans pouvoir les résoudre. On les appela filsouf (philosophas), et' dès lors ce mot exotique fut pris en mauvaise part comme désignant quetque chose d'étranger à l'islam. Filsouf devint chez les musulmans une appellation redoutable, entraînant souvent la mort ou la persécution, comme zendik et plus tard farmaçoun .(franc-maçon). C'était, il faut l'avouer, le rationalisme le plus complet qui se produisait au sein de l'islam. Une sorte de société philosophique, qui s'appelait les Ikhœan
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