Le Contrat Social - anno II - n. 5 - settembre 1958

Y. LÉVY réflexion san~ préjugés était incapable de la définir, une ?bservation sans passion impuissante à l' apercevoir. En fait, lorsqu'on prend pour boucs émissaires tel ou tel. homme politique, ou bien les partis, ou la nation elle-même, on isole, à l'intérieur de l'univers politique, des responsables, voire des coupables. 7 Or si, pour nous inspirer de la marche des autres disciplines, nous e:,caminons comment elles sont passées de l'imagination à l'observation scientifique, nous constatons que toutes, s~s exception,. ont fait le pas décisif en cessant d isoler les obJets de leur étude. L'acte scientifique le plus spectaculaire est la découverte de Ne_pt';111e,_x~lusivement obtenue par le calcul des irregular1tes d'autres planètes. 8 Un semblable mouvement a emporté les autres objets· des sciences. Si l'espace physique s'est transfo~é, c'e~t qu'il ~e servait qu'à juxtaposer des obJets. Mais les obJets physiques ne se juxtaposent plus : les coordonnées de la nouvelle physique les privent de leur autonomie intemporelle. Pythagore ne connaissait que des nombres isolés,_ qu'il chargeait de signification et qui formaient une série unique. On a ridiculisé cette série unique en créant quantité d'autres séries mathématiques, en multipliant les intermédiaires, en supprimant finalement les nombres eux-mêmes afin d'obtenir un tissu mathématique encore plus continu. Quant à la biologie, chacun sait qu'elle a mis en communication toutes les espèces et noué mille liens entre l'individu et ses semblables. Transposons ce mouvement dans l'univers politique et, pour avoir accès à la science politique, cessons d'isoler des êtres ou des groupes. Nous observerons alors non seulement leurs caractéristiques, mais leur interdépendance. Il deviendra, il est vrai, difficile de juger les hommes et les groupes, car pour juger, il faut isoler. Mais il faut savoir ce qll:'on veut, et cho_isir entre juger et comprendre : Juger pour sanctionner le passé, ou comprendre pour préparer l'avenir. * ,,. ,,. MA1s, dira-t-on, l'arrivisme, l'ambition des individus, les querelles, les divisions, l'égoïsme des parti~, l'apathie de la nation, ne sont-ce pas là des faits constatables, et dont l'action sur la décadence du régime ne peut guère être mise en doute ? Oui, certes, les faits sont constatables. Mais ce qui n'est pas évident, ·c'est la conclusion qu'on en tire. On peut bien constater une multi7. 11 n'est pas inutile de noter que la nation n'est pas le tout de l'univers politique. En tant qu'elle est considérée du point de vue de la politique, elle est un organe parmi d'autres (partit, a11embl~e1, mini1tère, etc.) 8. Bt un peu de chance. puitque let c■ lc:uls de Le Vcrrier ~taient faux. Mait c:e qui importe, c'est le raisonnement de Bouvard, conttatant 4e, irrf~ularitft non imputable• aux r~==• connue,, et concluant à l'1x.i1tence d'une plan~te ue. Biblioteca Gino Bianco 257 tude de faits regrettables, et constater en même temps que le régime fonctionne de plus en plus mal. Il ne s'en ensuit pas que cela soit à l'origine de ceci. Qu'il y ait un lien entre les deux ordres de faits, c'est vraisemblable, et c'est précisément à la science politique qu'il revient de définir ce lien. Mais il n'est pas vraisemblable qu'elle y parvienne si elle répond à la question sans prendre la peine de rien examiner. A cet égard, on ne saurait trop regretter que la science politique, en _France, soit du ressort des professeurs de droi~. Les professeurs de droit, malgré qu'ils en aient (encore n'en ont-ils pas toujours mauvais gré), sont platoniciens. Juristes, ils définissent l'idée_ avant ~'e:,c_aroiner le fait. Et lorsqu'ils examinent le fait, ils n'y passent guère de temps : tout juste ce qu'il leur en faut pour classer le fait dans leurs catégories préétablies. Ici encore . ' . J emprunterai un exemple au monumental Traité de science politique du professeur Burdeau. On peut y lire 9 les surprenantes phrases suivantes, échantill_on d'un p~ragraphe de plusieurs pages tou! entier d~ la meme encre : « Le système des soviets constitue le prototype d'un aménagement du ~ouv~i~ assurant l'intégration du peuple à la vie politiqu~ .. Il y a là une structure politique absolument originale dont on ne peut méconnaître l'intérêt sous le prétexte (que les conditions actuelles de nos moyens d'information rendent aussi. difficile à justifier qu'à contester) que la ~olonté qui doit .animer cet appareil n'est pas libre. » Il y a de si belles choses dans la suite que j'arrête à regret ma citation. 10 Elle suffit du reste à démontrer que, pour le professeur Burd~au, la science politique aura pour objet le réel s'µ se peut, et au besoin l'imaginaire. Son platorusme est d'ailleurs tout à fait théorique et invétéré. Il écrivait en effet, il y_ a quinze ans 11 : « On partii:a de, l'i_dée de l'Etat pour expliquer le ph~nomene etatlque - et alors l'explication fourme vaudra pour toutes les formes étatiques - au lie_ude parti_r du fait historique : État, pour aboutir, à la suite d'une généralisation nécessairement incomplète, à l'explication de l'État. » Une telle méthode a évi,lemment un défaut : elle risque de nous faire cc,.,naître admirablement les idées des professeurs, et très mal ce qui se passe dans la réalité. La science politique doit suivre le chemin inyerse. Il _c_onvient d'abord de poser que la sci~nce politique est une science, proposition qui ..n'est. peut-être pas aussi évidente qu'elle parait, P?isq~e _quelques-uns. semblent n'y avoir pas songe. L obJet de cette science, c'est l'univers consid~ré ~u point de vue pol_itique. Et cet objet, elle doit 1 observer de son mieux, examiner l'in9. Tome VI, p. 301. Cc Traité compte sept volumes et plus de quatre mille paacs. ' 10. 11 y est notamment qu~Atiô•l ,, de ta multiplicit~ des organes offtrt, aux travailleurs pour faire connaitre leur volont~ •· 11. L, Pouvoir politiqu, ,r Z-~tar. Plris, 1943, p. 251.

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