Le Contrat Social - anno II - n. 5 - settembre 1958

QUELQUES LIVRES et l'exclusivisme dictatorial. Désigner Malenkov comme représentant du libéralisme (p. 3) est mauvaise plaisanterie. Parler du rôle politique de la police et de l'armée (ibid.) dénote une complète ignorance de la question: la police et l'armée sont entièrement subordonnées au Parti et ne joueraient un rôle que dans une crise du régime. Le « culte de Khrouchtchev », que M. Rush ose comparer à celui de Staline, ne dépasse guère dans la Pravda ce qui s'étale mutatis mutandis dans le New York Times.... L'idée que Khrouchtchev se moque du presidium du Parti et cherche à en diminuer l'autorité (p. 4) a de quoi faire rire des poules, comme disent les Russes (kouram na smekh). La version relatant l'exclusion du« groupe antiparti » en juin 1957 n'est nullement celle du vainqueur (ibid.), mais l'indiscrétion d'un communiste italien, a priori suspecte, sauf confirmation ultérieure par recoupements et autres indices qui, précisément, n'ont pas manqué en l'occurrence. Quant aux «jrotégés » de Khrouchtchev au Presidium ( ibi . ) , indispensables aux kremlinologistes: le recrutement des organismes centraux s'opérant par cooptation sous un simulacre d'élection, leurs membres sont tous « protégés » peu ou. prou entre eux, quitte à s'entretuer parfois ; Staline a été ainsi le cc protégé » de Trotski (en effet Trotski a voté pour Staline, même quand celui-ci voulut démissionner) ; maintenant Khrouchtchev serait le « protégé » de Mao-Tsé-toung (pp. 43-4, 51, 107) ; à quoi rime cette « science sociale » ? Plus loin (toujours p. 4), « l'appareil du Parti regagnait son hégémonie » : il l'avait donc perdue ? Une révolution aurait eu lieu sans que personne l'apprenne ? En fait l'appareil du Parti se confond avec les hauts cadres de l'État soviétique, l'un ne peut perdre son hégémonie indépendamment de l'autre. Le Presidium, poursuit M. Rush, a été bourré de fonctionnaires du Parti (ibid.) ; or, tous ses membres n'ont jamais été que de tels fonctionnaires, placés à différents postes, d'où l'expression dictature du secrétariat vieille de trente ans. « En accroissant illégalement (sic) le nombre des secrétaires, Khrouchtchev assura la suprématie de l'appareil du Parti » (p. 5) : là encore, il y a de quoi « faire rire des poules ». Mais il faudrait reprendre phrase par phrase. Pour abréger, on passe outre au chapitre 2 afin d'aborder la pièce maîtresse du chapitre 3, dont M. Rush n'est pas peu fier : il a découvert en mai 1955 dans la Pravda des majuscules initiales au titre de Khrouchtchev, «Premier Secrétaire» (tout en repérant, à la même page, autre colonne, « premier secrétaire » avec des minuscules). Mêmes majuscules le 26 mai. Cependant, le lendemain, une seule majuscule, à «Premier». Etc. La dissertatiol)sur les majuscules et sur la majuscule unique ne ferait pas rire les poules, cette fois, car il y a plutôt de quoi les faire l'leurer. Indiquons seulement que la sténographiedu xxe Congrèsmentionne Khrouchtchev, p. 7, comme « secrétaire » tout court, avec une minuscule, et p. 9 comme « Premier secrétaire», Biblioteca Gino Bianco· 305 avec une seule majuscule (bon à tirer du volume : 18 juin 1956). La Grande EncyclopédieSoviétique, tome 46, p. 391, dit deux fois « premier secrétaire » avec des minuscules (bon à tirer: 18 février 1957). Le Dictionnaire Politique, 2e éd., p. 632, se contente aussi de minuscules à« premier secrétaire » (bon à tirer : 11 février 1958). Ce sont là des ouvrages de référence plus importants et durables que des feuilles éphémères de journal. Ils fournissent à M. Rush matière inépuisable à des variations vertigineuses sur le même thème typographique. Sautant le chapitre suivant pour en venir à une autre pièce maîtresse de la démonstration (qui démontre quoi ? ), on retrouve l'hypothèse chère à certains kremlinologistes : Mikoïan visait Khrouchtchev au xxe Congrès en attaquant, bon premier, la légende de Staline. Attaque inopinée qui a contraint Khrouchtchev, jusqu'alors soucieux de défendre la bonne réputation de Staline, à faire volte-face in extremis et à improviser son énorme discours secret pour surenchérir (curieuse relation de cause à effet, vraiment incompréhensible). Cette histoire est si insensée qu'elle en devient pour ainsi dire irréfutable ... Le Congrès, écrit M. Rush, était bourré par Khrouchtchev de ses partisans (packed with his supporters, p. 59). Et soudain, nul ne sait pourquoi, Mikoïan s'en prend à Khrouchtchev avec qui on l'a vu étroitement associé depuis 1953, et ce, devant un auditoire de « protégés » du dit Khrouchtchev. Quelle mouche le pique ? Et où M. Rush voit-il que Khrouchtchev était visé ? Mikoïan a réhabilité Kossior, auquel Khrouchtchev a succédé : rien de plus, rien de moins. Mais tout le monde sait, sauf M. Rush, que Kossior a nécessairemen~ péri sur l'ordre de Staline, non de Khrouchtchev. Celui qui se permettrait d'insinuer l'accusation inconcevable en question serait à la fois un ennemi mortel de Khrouchtchev et t1n imbécile : Mikoïan n'est évidemment ni l'un, ni l'autre. Ensuite, Anna Pankratova également a pris la parole au congrès pour dénigrer Staline : serait-ce aussi proprio motu et afin d'atteindre Khrouchtchev ? Ici les poules éclateraient de rire. IL FAUT IGNORER l'a b c des affaires soviétocommunistes pour supposer un instant que Mikoïan, Pankratova et Khrouchtchev aient discouru au congrès de leur propre gré : ils n'ont pu que se conformer aux instructions du Presidium, non seulement parce que c'est la règle, mais parce que tout particulièrement en l'espèce des initiatives individuelles sont inimaginables (étant entendu que le presidium du Parti se trouve inclus dans le presidium du Congrès ; cf. compte rendu sténographique, p. 4). On ne sait exactement si la décision de déboulonner Staline fut prise avant ou pendant le Congrès; elle a précédé, en tout cas, le discours de Mikoian ..

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