M. COLLINBT l'insurrection ouvrière. Elle sauva une bourgeoisie, et une assemblée, qu'elle méprisait en la traitant de « ramassis d'épiciers et d'avocats », termes que Blanqui lui-même utilisa. Elle accepta avec froideur la plate vénération de cette bourgeoisie qui la considérait comme une divinité, au même titre que la propriété «sauvée» par elle des menaces socialistes. Le 2 décembre 1851, l'armée, partagée entre les deux pouvoirs du président et du Parlement, n'obéit qu'avec beaucoup de réticence à son chef légal, Louis-Napoléon. Celui-ci dut auparavant l'épurer des éléments hostiles à sa personne, et la plupart des officiers même favorables à Bonaparte n'agirent qu'en vertu des ordres de leurs supérieurs. Tocqueville avait noté tout ce que l'État, né de la Révolution, avait conservé du vieil appareil monarchique. Marx fit la remarque que les multiples révolutions du xixe siècle laissaient intact l'appareil de l'État. L'armée fait partie de cet appareil et, plus encore que l'administration civile, résiste aux changements politiques incapables de modifier sa structure. En outre, l'armée, malgré certaines apparences, ne constitue pas une classe ou une caste appartenant à la société civile. Le lien entre ses membres est d'ordre fonctionnel, bien cimenté par une longue tradition et le sentiment objectif qu'elle échappe à l'usure du temps, au milieu de convulsions chroniques. Il est clair que l'adhésion à un pouvoir qui, par sa structure libérale ou démocratique, n'a pas nécessairement la sympathie de l'armée, suppose qu'à ses yeux il représente la continuité de la patrie. Jusqu'en 1940 les pouvoirs successifs ont rempli cette condition pour des raisons diverses, souvent tirées des circonstances. * ,,. ,,. EN 1940, la rupture se produisit. L'armée, comme la masse des citoyens, fut déchirée entre sa fidélité au pouvoir issu de l'armistice et son désir d'une revanche de la terrible défaite. La loyauté politique et le sentiment patriotique ne Biblioteca Gino Bianco 267 coïncidaient plus comme dans les tragédies antérieures. Une ère nouvelle s'ouvrait pour l'esprit militaire. Comme l'a fort bien noté Girardet, les membres de l'armée, s'ils voulaient agir, devaient le faire en dépit de leur statut de fonctionnaires réguliers de l'Etat. Ils devaient se transformer en chefs de bandes et pratiquer l'allégeance personnelle, à la manière des seigneurs féodaux. La discipline et l'obéissance passive devenaient des fictions utiles simplement à une apparente loyauté dont l'esprit était mort. Elles n'engageaient plus personne. Autrefois, l'armée liait l'existence de l'État à son concept de nation. En 1940, elle prit l'habitude de les considérer isolément et, ainsi, de choisir des positions politiques. Suivant la manière dont ses membres résolvaient la question des rapports entre l'État et la nation, l'armée soutint le gouvernement de Vichy ou, au contraire, pactisa avec le Comité national d'Alger. Depuis la guerre, les incohérences du pouvoir politique et les échecs subis dans les guerres coloniales n'ont pas contribué à rétablir sa croyance traditionnelle en l'identité de l'Etat et de la nation. De là ce « malaise » qui s'est révélé d'une manière explosive en mai dernier. La guerre d'Indochine a été menée par une armée de métier dans l'esprit colonial dont il a été question et, à en croire les témoins, la guerre d'Algérie est surtout menée par une armée analogue. De technique qu'elle était auparavant, l'autonomie de cette armée est devenue politique. Elle a proclamé elle-même l'incompatibilité de sa fonction avec un régime pleinement démocratique et vérifié, certainement sans le vouloir, la formule de Fustel de Coulanges déjà citée. Mais si des fractions de l'armée ont abandonné la tradition apolitique de leurs prédécesseurs, la France a une tradition politique et n'a pas de raison de renier ce que disait un député à la Législative, en janvier 1792 : « Un peuple libre que la nécessitécondamne à entretenir une armée doit veiller à ce qu'elle soit une force et non pas un pouvoir. » MICHEL COLLINET •
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