CHRONIQUE Du sérieux DANS LES ANNÉES qui ont suivi la mort de Staline, les échanges d'informations entre l'Union soviétique et l'Occident, si restreints soient-ils, ont permis de découvrir la science et la technique russes appelées à tort « soviétiques ». Les explosions atomiques, puis les satellites artificiels ne sont que les illustrations les plus frappantes des progrès réalisés au pays de Lomonossov, de Mendéléev, de Lobatchevski, de Pavlov, sans donner encore une idée, suffisante du niveau général. Il est vrai que l'Etat soviétique revendique le mérite d'accorder aux savants et aux éducateurs les moyens matériels nécessaires à l'avancement de leurs disciplines ; le malheur veut que ces moyens soient fournis par les travaux forcés de millions de bagnards et par la plus éhontée des exploitations de l'homme par l'homme. On ne doit donc au régime communiste ni admiration, ni reconnaissance. Mais il mérite l'attention la plus objective parce qu'on se doit la vérité à soi-même, et pas seulement dans l'ordre des sciences et des techniques .. A partir de 1956, les analystes des questions soviétiques sont frappés de l'effort financier consenti à la recherche scientifique, tel qu'il figure au budget : 13 milliards de roubles cette année-là, en augmentation de 20 % sur l'année précédente (le rouble vaut 40 francs environ au marché libre à Moscou). Encore ce chiffre énorme 1 ne révèle-t-il qu'une partie de la réalité, certains postes mystérieux du budget cachant sans nul doute des dépenses afférentes aux expériences nucléaires, aux engins téléguidés, à l'astronautique. Il s'agit de sommes fabuleuses que peut seul se permettre de dépenser un État totalitaire. Les admirateurs occidentaux, et orientaux, des réussites - « soviétiques » se plaignent déjà de leurs charges fiscales ; ils auraient à se priver bien davantage pour obtenir des résultats comparables. En juin 1956, des physiciens américains ayant passé dix jours à Moscou, visité des instituts et des laboratoires, causé avec nombre de savants russes, ont rapporté leurs impressions et certitudes bien motivées quant à la supériorité acquise par l'URSS en matière de physique énergétique, d'appareillage atomique expérimental. Leurs interlocuteurs soi-disant « soviétiques » se sont risqués à dire en confidence que plusieurs des physiciens les plus remarquables, arrêtés et déportés sous Staline, étaient alors rendus aux universités ainsi que des milliers d'autres intellectuels depuis que les camps de concentration ont été plus ou moins ouverts. Les Américains en visite sont revenus étonnés des moyens matériels illimités mis à la disposition des savants russes. 2 1. New York Times, 2 janvier 1956. 2. Ibid., 3 juin 1956. BibliotecaGinoBianco Un mathématicien américain, rentré de Moscou en juillet 1956, a reconnu l'égalité de niveaux des études entre l'URSS et les USA quant aux mathématiques, avec quelque supériorité des Russes en topologie, etc. La politique ne s'immisce plus dans les mathématiques, a-t-il constaté; et les mathématiciens sont mieux traités que partout ailleurs : ils gagnent de 5 à 6 ooo roubles par mois, de 11 à 12 ooo s'ils ont rang d'académiciens, contre 1 200 à un chauffeur, alors qu'en Amérique un chauffeur gagne presque autant qu'un professeur de mathématiques. 3 Ainsi des intellectuels occidentaux ignoraient, beaucoup ignorent encore, que le communisme n'existe absolument pas dans l'Union soviétique, qu'une nouvelle classe privilégiée domine et exploite la population laborieuse, que le parti prétendu communiste s'arroge le monopole du pouvoir politique et partage les profits matériels, la plusvalue, avec les élites de toutes sortes. Ce n'est là qu'un aspect, non négligeable, de la question. Avant d'en découvrir un autre, d'importance majeure, il faut noter qu'à partir de 1956, les revues savantes et les publications populaires aux États-Unis ont multiplié les études qui rendent compte de l'organisation et des méthodes en vigueur dans l'Union soviétique pour l'enseignement et les réalisations scientifiques et techniques. 4 Plusieurs ouvrages bien documentés ont paru, sur le même sujet. 5 On s'est avisé du fait que les institutions qualifiées de l'URSS étaient abonnées à toutes les revues scientifiques et techniques américaines (donc, à celles d'autres pays). En 1957, une dépêche de Londres signalait l'achat par la Russie et la Chine «communistes» de 800 ooo textes de brevets au Royal Scottish Museum d'Edimbourg, allant des boutons de souliers aux pompes pour les mines. 6 Tout récemment, une commission d'enquête officielle à Washington co~parait l'organisation et la distribution des renseignements scientifiques aux centres de recherches et aux industries intéressées en URSS et aux USA : il en appert que des milliers de publications russes s'accumulent à la bibliothèque du Congrès sans profit pour personne alors que du côté sovié- .3. New Y,ork · Times, 16 juillet 1956. 4. Exemples : les articles de Collier's (27 avril 1956) et de la Saturday Evening Post (28 avril 1956), reproduits dans le Reader's Digest de juin et d'août 1956. Les grands journaux comme le New York Times ont publié des articles analogues. 5. Notamment : · Nicholas DeWitt : Soviet Professional Manpower, Its· Education, Training and Supply, Washington, 1955 ; Alexander Korol : Soviet Education for Science and Technology,, New York, 1957; George Counts : The Challenge of Soviet Education, New York, 1957 ; George Kline : Soviet Education, New York, 1957. 6. New York Times du 6 janvier 1957.
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