1848 ET LE <<SPECTRE DU COMMUNISME>> par Oscar J. Hatntnen LA CRISE des années 1840 offre un champ fertile à l'étude des divers facteurs - intellectuels, sociaux et psychologiques - qui engendrent les révolutions et qui ont permis d'affirmer qu'elles naissent d'abord dans l'esprit des hommes. C'est dans cette décennie que le communisme marxiste prit forme pour la première fois, sans qu'on puisse lui assigner un point de départ étroitement déterminé; car, s'il existe une tendance à localiser les origines de toute idéologie en faisant remonter ses principes directeurs à des auteurs ou à des systèmes philosophiques, ce procédé néglige le climat d'ensemble, à la fois intellectuel et passionnel, qui caractérise une époque. Or, le climat qui régnait dans les cercles « avancés » et extrémistes de 1840-I 848 a pu contribuer (tout aussi bien que l'étude abstraite des courants économiques et de leur influence sur l'histoire et la société humaine) à inspir~r à Marx sa foi dans l'inévitable triomphe du comm1misme ; et, de toutes façons, il n'est pas sans intérêt de se replonger dans l'histoire des dix années auxquelles le marxisme doit sans doute son empreinte et sa coloration définitives. L'engouement pour un idéal «communiste», si courant dans les années 1840, et la crainte, plus répandue encore, que cette attitude éveillait dans certains milieux - tout contribuait à répandre l'idée que le communisme était destiné à mettre un _pomt final, heureux ou malheureux, aux conflits économiques, sociaux, intellectuels et moraux qui tourmentaient alors les esprits. L'air était saturé de vagues aspirations égalitaires, particulièrement dans les milieux intellectuels et artistiques de France et d'Allemagne - sans que d'ailleurs se précisât clairement la triple conception marxienne qui nous est aujourd'hui famili~rc, pour cc qui est de la Révolution, de la Dictaturedu Prolétariate, t du dépérissement de l'atat - réaorbidansunesociétécommuniste Biblioteca Gino BiancG I indifférenciée. (Cette doctrine, en effet, en était encore à ses premiers pas ; elle n'était entrevue que d'un très petit nombre de gens, et ceux qui la comprenaient étaient encore moins nombreux. De toutes façons, le communisme, dans l'esprit du public, n'était encore nullement identifié au schème marxien.) Un âge prométhéen Dans la période qui précéda immédiatement I 848, la prédication sociale, volontiers apocalyptique quant au vieux monde, était fantastiquement optimiste quant à l'avenir. La conception hégélienne et bien d'autres qui lui étaient apparentées avaient unanimement proclamé la Loi de Progrès - l'idée d'un but qui, tout en se réalisant, s'élargissait à l'infini. Impressionnés par les effets prodigieux de la « révolution silencieuse» (telle est la formule évocatrice qu'employait un écrivain anglais pour définir la transformation industrielle), bien des Européens croyaient y voir les signes précurseurs d'un Millénium, d'un Grand Soir cosmique où disparaîtraient à la fois la misère des hommes et les frontières nationales. Un historien français, Auguste Mignet, interprétait l'histoire comme une victoire progressive du genre humain sur la Nature : en mettant sous le joug les énergies naturelles, telles que le feu et la vapeur, l'homme semblait ouvrir un âge prométhéen, où la production industrielle s'élargirait au point de satisfaire tous les besoins de l'espèce et peut-être même tous ses désirs. En même temps, le vieil ordre social, politique, économique et religieux, paraissant incapable de répondre aux nécessités et aux aspirations humaines, était de plus en ~lus discrédité. Une révolte généralisée du SCl'ltJrncnt et de l'esprit •
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