Le Contrat Social - anno II - n. 1 - gennaio 1958

48 économiques et sociaux créent de nouvelles exigences philosophiques, avec ce résultat que les bourgeois se tournent vers le principe de liberté individuelle, tandis que les nobles s'accrochent à un régime d'autorité. Certes, on peut démontrer que les bourgeois capitalistes ne sont guère les ennemis de l'autorité que Louis Blanc voit en eux, puisqu'ils ont soutenu _ pendant des siècles la monarchie absolue. Mais, en règle générale, notre auteur néglige délibérément ce fait ; tout en montrant que la politique de Richelieu et de Colbert a effectivement contribué à l'élévation de la bourgeoisie, il pose en principe que cette classe n'a jamais, en réalité, accepté l'autorité monarchique. L'esprit des États généraux, déclare-t-il, n'a pas cessé d'être vivant, et le régime représentatif constitue l'idéal du bourgeois en tant qu'expression politique de son individualisme. Le principe d'autorité, au contraire, sous la. forme papale ou royale, est présenté comme faisant horreur à cette classe appelée à dominer la société. ll est important de noter que Louis Blanc associe étroitement le capitalisme français au calvinisme, et que les huguenots sont pour lui les ennemis irréconciliables de la monarchie. Disciples de Hotman et de Languet, ils ont la crainte du «peuple», mais ~ont partisans d'un régime constitutionnel. 39 Il apparaît, à travers tout cela, que l'attitude des capitalistes est en partie déterminée par les changements éconqmiques. Notre historien voit bien le rapport étroit qui existe entre les conditions matérielles et les idéologies; mais il n'en rejette pas moins l'interprétation matérialiste de l'histoire. Il ne déploie aucun effort pour briser les liens qui l'attachent à l'idéalisme de sa génération, et son attention se fixe sur les principes conceptuels, non sur les bases économiques. L'histoire, chez lui, concerne essentiellement l'évolution des idées : · Ce n'est pas la force ... qui dirige le monde, malgré les apparences ; c'est la pensée; et l'histoire est faite par les livres. 40 Louis Blanc montre une certaine connaissance des forces historiques qui poussent les hommes à écrire des livres capables de faire l'histoire, mais il ne va pas plus profond dans l'examen des facteurs économiques et· sociaux impliqués dans cet enchaînement. Une autre faiblesse de sa méthode, étant donnée son intention d'interpréter le passé sous l'angle du socialisme, est le peu d'attention qu'il accorde aux classes dominées. En fait, Louis Blanc ne s'écarte guère de la tradition limitant l'histoire au domaine de la politique et de la diplomatie. La lutte entre les principes abstraits, l'avènement de la bourgeoisie, la décadence de la royauté lui masquent encore les réalités· sociales et économiques ; tout cela est assez naturel, puisqu'à ses yeux ces réalités ne jouent qu'un rôle secondaire dans l'évolution. Mais il est une autre force qui, selon lui, domine 39. Ibid., t. I, 1. II. 40. Ibid., t. I, p. 430 .. BibliotecaGinoBianco • LES RÉFORMATEURS SOCIAUX . . tous les aspects de l'histoire. Cette force est divine. Les croyances religieuses de Louis Blanc, jointes à sa doctrine politique, nuancent fortement son interprétation du passé. Il est déiste à la manière de Rousseau, et l'enchaînement des faits est pour lui téléologique, nullement mécanique. L'histoire, dans son cours, suit un chemin tracé par Dieu; les principes, les .individus qui les propagent, les sociétés où ces principes et ces individus se meuvent, tout cela fait partie d'un plan divin. Cependant, il ne donne aucune explication claire des relations mutuelles ou de l'harmonie préétablie entre tous ces facteurs concordants. Il se contente de nous expliquer qu'à chaque phase dialectique la structure sociale porte en elle, comme une mère son enfant, la nouvelle philosophie répondant à ses exigences particulières; ajoutant que le rôle de l'élite intellectuelle est de formuler cette philosophie. Louis Blanc distingue expressément deux types d'hommes. Il y a d'une part l'homme ordinaire qui, pris en masse, forme le corps de . la société. . La volonté de cet être moyen est libre, ou plutôt non déterminée ; il n'y a aucune force qui le contraigne à agir dans un sens plutôt que dans l'autre; le libre arbitre lui appartient de droit parce qu'il n'exerce aucune influence sur l'évolution de la société. - D'autre part, il y a le grand homme qui appartient à l'élite pensante de la société ; le grand homme n'est pas libre ; il est prédestiné à agir sur la société et la dirige dans le chemin tracé par Dieu. 41 Celui que Louis Blanc appelle l'cc homme représentatif » concentre en soi la vie collective ; il ne crée pas les principes qu'il propage, mais il les perçoit et les enseigne pour guider ses contemporains : Voyez s'il s'opère dans les profondeurs des sociétés .un labeur lent, mystérieux et continu, qui prépare les stades par lesquels doit passer la civilisation. Ce sont d'abord des instincts vagues, puis des sentiments incomplets et mal définis. Arrive l'homme qui trouve la formule de ces sentiments et les transforme en idées, c'est un grand homme. 42 Le rôle du grand homme n'est pas facile. Chaque héros historique est un instrument voué par Dieu à s'épuiser et se briser au service d'une idée; et le message spirituel qu'il déti~nt ne lui appartient même pas en· propre, car ce message émane du « milieu » dont le messager n'est qu'une personnification, chez qui « les principes se sont faits chair ». 43 Cela ne signifie nullement que l'homme représentatif de Louis Blanc soit identique au héros de Carlyle. L'auteur français met l'accent sur ce que le grand homme doit à son milieu - source unique de ses idées et de sa force; il refuse d'élever le penseur au-dessus de l' «humanité», de peur qu'une individualité aussi dominante ne paraisse servir d'arbitre à la destinée humaine. La force séculière de l'histoire, c'est l'« humanité» (sous les espè_ces - semble-t-il - du milieu social) ·: . 41. Revue du progrès, II (15 août 1839), p. 98. 42. Questions, t. I, p. 3. · . 43. Hist. Révol. fr., t. I, p. XXXI. ·· · , · ·

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