Le Contrat Social - anno II - n. 1 - gennaio 1958

L. A. LOUBÈRE il considère tous les hommes comme naturellement bons ; en conséquence, il se propose de convertir un à un les membres de la classe exploiteuse plutôt que de la détruire collectivement. Les capitalistes ne sont après tout que les victimes aveugles de l'individualisme et du vice économique qui lui correspond - la concurrence. Mais il suffira de mettre les possédants en face des maux causés par l'antithèse individualiste pour amener la plupart d'entre eux à reconnaître les bienfaits de la synthèse, c'est-à-dire de la société fraternelle. 37 Il apparaît donc que la moralité innée à l'homme interviendra dans la transition finale ; mais cette moralité innée, fondamentale, est comme un diamant brut auquel seule la propagande pourra donner sa taille et son éclat. Les idées sont presque tout, dans le monde de Louis Blanc ; cependant, il ne disconvient pas que certaines institutions soient, plus que d'autres, capables de hâter le passage de l'individualisme au socialisme. C'est ainsi qu'une assemblée législative unique, élue au suffrage universel, servira de lieu de rencontre aux représentants des groupes disparates, qui y trouveront aisément l'occasion de se mêler et de se fondre en un tout fraternel. D'autre part, les ateliers sociaux, financés par le gouvernement du peuple, ne tarderont pas à supplanter l'entreprise capitaliste, et à lui substituer l'association ouvrière sur le plan de la production. Démocratie et coopération, portail à deux arches ouvrant sur le monde nouveau, mettront fin aux vieilles structures et en fonderont simultanément de nouvelles. Jointes à l'action des idées, ces réalisations ne manqueront pas de développer la bonté latente et naturelle de l'homme. Chambre unique et ateliers sociaux serviront efficacement d'écoles où les h~ains apprendront à vivre en bonne intelligence. :C'est ainsi que Louis Blanc met sa foi suprême dans la persuasion et l'exemple, ne doutant pas que l'esprit de fraternité ne réussisse à gagner l'assentiment de tous. Le nouveau principe n'est-il pas en accord avec les nécessités philosophiques d'une société de plus en plus industrialisée ? Son avènement et son triomphe ne sont-ils pas, de ce fait même, inévitables, comme l'ont été l'avènement et le triomphe de l'individualisme au XVIII 0 siècle et au début du XIx0 ? Comme on le voit, Louis Blanc s'explique assez clairement la corrélation de fait entre les idées et les besoins sociaux ; mais il est beaucoup moins précis quant à l'origine des principes directeurs dominant les trois grandes phases de sa dialectique. Le problème reste irrésolu : les idées sont-elles le produit des nécessités philosophiques de la société daD8 son ensemble, ou de celles d'une classe sociale particulière? Louis Blanc ne semble pas mesurer la rigueur de cette alternative ; de la manière la plus affligeante, il se sert indifféremment des deux termes opposés comme s'ils étaient synonymes. A-t-il senti que les idées les plus fécondes jaillissent du concours des exigences de classe avec des nécessités plus universelles (puisque, tout en pour37. L'Organisation du travail (58 éd., Paris, 1847), chai,. 2 et 3. Biblioteca Gino Bianco 47 suivant leurs fins égoïstes, l'aristocratie et la bourgeoisie ont contribué inconsciemment au progrès de la société dans son ensemble)? Il semble, en définitive que, pour Louis Blanc, l'idée naît à la fois de l'intérêt particulier d'une classe et des besoins généraux de la société que cette classe est appelée à dominer. Mais reste à définir le rôle précis qu'il attribue aux idées. En thèse générale, il les charge de guider la société d'une étape à l'autre de son développement : elles sont une force en tant qu'image du possible et en tant que projet poursuivi. Une idée, toutefois, n'entre en jeu dans la dynamique sociale qu'autant qu'il existe, pour la soutenir, une classe suffisamment avancée dans son propre développement. L'ascension de la bourgeoisie commence avant Luther ; le moine de Wittenberg formule le premier le principe individualiste; mais il laisse à ses successeurs laïcs le soin de répandre cette doctrine et de la faire triompher. Louis Blanc, tout en confiant aux idées le soin de guider la société, laisse entendre qu'elles ne sont pas toujours suivies. Les principes naissent d'un besoi11 : ce besoin, ils ne le créent pas. Ce qui donne substance à ce besoin, c'est la croissance d'une classe. Chaque classe, en se développant, entame une transformation de la structure traditionnelle. D'où les nouvelles exigences philosophiques et la naissance d'un nouveau principe qui se heurte à l'ancien, jusqu'à en consommer la destruction définitive. Mais l'idée peut exister hors des conditions requises, ou du moins anticiper sur leur maturation. C'est le cas du principe de fraternité qui, selon Louis Blanc, est formulé pour la première fois par Jésus-Christ antérieurement aux trois époques dont la dernière seule peut assurer son triomphe - et cela par le concours éclairé, universel, du peuple et de la bourgeoisie. Ainsi donc, n'importe quelle idée n'est pas apte à servir de guide au progrès ; l'influence qu'exerce un concept comme celui de fraternité dépend en partie de ses relations avec les conditions économiques et sociales. C'est seulement lorsqu'une classe est parvenue à un certain stade de son développement qu'elle en vient à prendre parti pour le principe le plus conforme à ses intérêts propres. Alors le principe entre dans sa phase militante initiale, et vient servir de guide à l'évolution sociale. Par exemple - à mesure que les capitalistes s'élèvent au pouvoir, ils transforment les conditions sociales et économiques de la France et, d'un état agraire et féodal, ils font une puissance capitaliste basée sur le commerce et l'industrie. 38 Louis Blanc se représente la France comme se dégageant - dès la Réforme - d'une structure à prédominance agricole ; son ignorance de l'histoire économique est frappante - d'où peut-être son manque manifeste d'intérêt pour les facteurs économiques. Pour lui, les champions du capitalisme, protestants pour la plupart, se l1eurtent politiquement à ceux du féodalisme, pour la plupart catholiques. Les changements 38. Rist. Révol. fr., t. I, "· 235.

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