Le Contrat Social - anno II - n. 1 - gennaio 1958

LES RÉFORMATEURS SOCIAUX . ' III. L'idée et son messie JL apparaît maintenant que Louis Blanc, comme · son contemporain Karl Marx, est un déterministe. L'évolution historique de la société suit, à ses yeux, un chemin bien défini, et dont elle ne ·peut s'écarter. Cependant, Louis Blanc n'est guère ce « devancier de Marx » que quelques auteurs ·allemands ont voulu mettre en évidence. 31 Certes, ~1e socialiste français élabore une dialectique de l'histoire; mais il est bien possible qu'il en ait ·emprunté les éléments à des penseurs allemands. On sait qu'il rencontre Arnold Ruge dès 1843, 32 et est présenté à Karl Marx au cours de l'année suivante - d'où« une sorte d'amitié entre eux, qui n'a cependant rien d'intime». 33 Or ce n'est qu'après 1845 que Louis Blanc use de la méthode dialectique pour expliquer l'évolution de la société française; nulle part, dans son Histoire de dix ans, dont le dernier volume est publié cette année-là, il n'y a trace de dialectique. 34 Louis Blanc ne fait même pas mention de la méthode hégélienne ·.dans un article, «La France et l'Allemagne», qu'il publie en 1843. 35 D'autre part, quoi qu'il en soit ·de la dialectique, Marx ne peut découvrir chez Louis Blanc une interprétation matérialiste de l'histoire, parce que l'auteur français est fondamentalement idéaliste. Pour Marx, il n'y a d'ailleurs que relativement peu de chose de vraiment nouveau dans le tableau brossé par Louis Blanc de la France prérévolutionnaire; l'esquisse qu'il trace de la lutte entre l'aristocratie féodale et la bourgeoisie n'est guère qu'un pastiche socialisant des thèses de Guizot sur l'histoire de la civilisation française ·(la principale différence entre eux, c'est que Louis Blanc n'admet pas comme but l'avènement de la bourgeoisie, ne voyant là qu'une étape vers l'établissement d'une société fraternelle - mais ce «dépassement» est plutôt d'un prophète que d'un historien). De même, Louis Blanc, lorsqu'il découvre enfin sa loi de l'histoire, en donne une interprétation assez faible ; il comprend imparfaitement le méca- ·nisme de la dialectique, et c'est peut-être ce qui explique l'usage inconsistant qu'il en fait. Sans doute perçoit-il l'antagonisme entre les classes féodale et capitaliste, et lui assigne-t-il un 31. O. Warschauer, Geschichte des Sozi·alismus und neueren Kommunismus, t. III, Louis Blanc (Leipzig, 1896), pp. 130, 161; P. Keller, Louis Blanc und die Revolution von I848 (Zurich, 1926), pp. 56, 209-210. 32. P. Nerrlich, éd., Arnold Ruges Briefwechsel und Tagesbuchblâtter aus den Jahren I825-I880 (Berlin, 1886), t. I, p. 313. 33. B. Nicolaïevsky et O. Maenchen-Helfen, Karl Marx, Man and Fighter (Londres, 1936), p. 81. 34. Mme Kâte Stark affirme que la dialectique de Louis Blanc est déjà décelable _dans son Histoire de dix a~; cependant, elle n'apporte rien en faveur de cette thèse. Eue paraît .confo~dre, chez Louis Blanc, la croyance au progrès avec la dialectique. Voir son « Louis Blanc als Historiker der franzôsischen Revolution » (dissertation non publiée, présentée' en 1935 à l'Université de Hambourg pour l'obtention _du doctorat),· · . . .. 35. Questions, t. III, p. 31 sqq. BibliotecaGinoBianco rôle, au moins partiel, dans le passage de la thèse à l'antithèse; sans doute reconnaît-il également que cet antagonisme a des aspects économiques, ·bien que sans insister sur ce point ; mais lorsqu'il s'agit de passer de l'antithèse à la synthèse, le moteur de ce dépassement cesse pour lui d'être la lutte des classes; la dernière transition, remarque-t-il, ne peut résulter que de l'union complète entre la bourgeoisie et le peuple. Or, dans le présent, une distinction tranchée existe entre ces deux groupes : comment se rejoindront-ils? Par bourgeoisie, j'entends l'ensemble des citoyens qui, possédant des instruments de travail ou un capital, travaillent avec des ressources qui leur sont propres et ne dépendent d'autrui que dans une certaine mesure. Ceux-là sont plus ou moins libres. Le peuple est l'ensemble des citoyens qui, ne possédant aucun capital, dépendent d'autrui complètement et en ce qui touche aux premières nécessités de la vie. Ceux-là ne sont libres que de nom. 86 Il reste entendu pour Louis Blanc que le peuple se dresse en champion de l'idéal fraternitaire pendant la phase de combat de cet idéal, mais l'idéal n'est pas proposé à la bourgeoisie avec l'alternative menaçante : «La Fraternité ou la mort». Louis Blanc n'incite point le peuple à faire la guerre aux bourgeois. Ce n'est pas la lutte des classes, mais leur harmonie, enseigne-t-il, qui opérera la métamorphose d'une société individualiste en cité fraternelle. Non pas que les principes en cause soient conciliables; Louis Blanc rejette cette idée de toutes ses forces, et son attitude doctrinale conduit logiquement à conclure que les classes, protagonistes de ces principes, ne peuvent être réconciliées ; mais le théoricien du socialisme français n'est pas toujours logique dans ses conclusions. Pour lui, les doctrines sont séparées par un abîme, tandis que les classes qui leur correspondent peuvent et doivent se rejoindre. Il espère sincèrement la fusion de la bourgeoisie et du peuple, et c'est pourquoi il se refuse à faire du principe de fraternité un mot d'ordre de la guerre des classes. Sur ce point comme sur bien d'autres, la philosophie politique de Louis Blanc entrave le développement logique de sa philosophie de l'histoire. Il a élaboré sa théorie sur l'organisation et le gouvernement des sociétés avant d'avoir conçu sa théorie de leur croissance évolutive, ce qui fait de cette dernière la servante et l'auxiliaire de l'autre. Disciple de Bentham, il croit à l'harmonie plutôt qu'à l'antagonisme des intérêts ; il rejette donc l'idée que les luttes sociales soient un facteur indispensable du progrès. Disciple de Rousseau, 36. Hist. Révol. fr., t. I, p. 117. D'après cette curieuse définition, il n'existe point de différence sociologique entre un dire~teur .d'administration et un homme de peine, ni entre u~ petit .artisan . qui possède son échoppe et un ca1>itaine d mdustr1e. Lows Blanc, comme -Marx, s'est montré. incapable de nous fournir un critère acceptable de la division en classes. Celui qui nous est proposé ici ile fait qu'entretenir la confusion qu'il prétend trancher.

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