F. D. HOLZMAN ont-ils également décidé de suspendre parallèlement le service des intérêts et l'amortissement des titres précédemment émis ? En ce qui concerne .la première question, il semble que la nature essentielle de l'emprunt soviétique ait été modifiée à partir de 1947 ; jusque-là, les émissions se présentaient en réalité comme une sorte d'impôt, par voie de souscription obligatoire ; depuis 1947, l'élément fiscal jouait un rôle beaucoup moins important, au point même de disparaître presque entièrement. Supposons qu'en 1930 le gouvernement ait « convaincu » un ouvrier de souscrire un bon (portant intérêt à 10 % et libérable après dix ans) d'une valeur de remboursement totale de 100 roubles. Étant donné le taux d'intérêt, la valeur du titre au moment de l'achat eût été de 39 roubles ; c'est cette somme que le souscripteur aurait eu à verser à l'État. Supposons encore que ce titre n'aurait été acquis de plein gré que si son prix eût été fixé à 25 roubles., ce qui correspondrait à un bon à 15 %-L'ouvrier qui était ainsi forcé d'acheter au cours officiel de 39 roubles ce qu'il n'eût payé volontairement que 25 roubles, subissait un prélèvement fiscal effectif de 14 roubles. Tenons compte maintenant du fait que les prix augmentaient rapidement - ils devaient quintupler entre 1930 et 1940 - et supposons que le travailleur en question eût été à même de prévoir cette évolution des prix. En 1940, 100 roubles ne représentaient plus que le cinquième de leur pouvoir d'achat en 1930. Notre travailleur soviétique, s'il avait pu agir librement et en pleine connaissance de cause, n'aurait donc consenti à payer, pour son titre de 100 roubles à l'échéance de dix ans, que le cinquième de 25 roubles, c'est-à-dire 5 roubles seulement. Ainsi, compte tenu de l'inflation, l'élément fiscal (dissimulé dans la souscription originelle de 39 roubles) s'élève dejà à 34 roubles tandis que le versement de caractère volontaire, échangiste, est de 5 roubles seulement. Enfin, si l'on considérait en outre la cascade des conversions et des suppressions d'intérêt décrétées par le débiteur sans l'avis du créancier, l'élément fiscal apparaîtrait encore plus important. En résumé, encore que les estimations ci-dessus soient nécessairement grossières, 9 il n'y a guère de doute que les souscriptions de masse aux emprunts d'État, de 1927 à 1947, n'aient eu un caractère essentiellement fiscal. Seuls les « numéros sortants» ont valu à leurs souscripteurs le 9 Pour une estimation plus _précise de l'élément fiscal, voir·Fraokl}'llD. Holzman : « An Est~te of t~c Tax Elemcnt in Soviet Bonds •, American Economie Rev,ew (Evanston), juin 1957. BibliotecaGinoBianco 31 rembou.rsement du capital ou le paiement des intérêts ; et même alors, l'argent que les heureux gagnants recevaient de l'État ne valait plus, en pot1voir d'achat, qu'une fraction de la somme originellement souscrite. Comme nous l'avons déjà indiqué, le souscripteur moyen qui avait acheté en 1927 un bon de 30 roubles rapportant 13 % et remboursable en 1937 se retrouvait en 1947 en possession d'un titre d'une valeur nominale réduite à 10 roubles, correspondant à un pouvoir d'achat de moins d'un rouble de 1927; d'autre part ce titre ne rapportait plus que 2 % par an, et n'était plus libérable avant 1967. Depuis 1947, toutefois, la situation a fortement changé. "t Certes, les souscriptions en masse restent obligatoires, le taux d'intérêt a fortement baissé, et les titres restent bloqués. Mais bien que le niveau de vie soit encore bas, il s'est élevé constamment durant les dix dernières années ; il a pu en résulter un authentique désir d'épargne parmi les éléments les plus favorisés de la population - et où placer ses économies, sinon ..en bons d'État? Cependant, le facteur le - è. plus., important dans le changement survenu, c'est le fait que l'inflation ouverte a été enfin endiguée. En fait, depuis 1948, c'est une déflation systématique qui est mise en œuvre. En 1956, l'indice des prix des biens de consommation était tombé à moins de la moitié de ce qu'il était en 1947. 10 L'épargne risquait de devenir payante Du point de vue du porteur de titres, c'était là une situation fort satisfaisante. En effet, lorsque, favorisé par la chance, il voyait son numéro sortir et qu'on lui rendait sa mise augmentée d'un lot plus ou moins important, chaque rouble reçu valait plus que le rouble déduit à l'origine de son salaire. Et, même si son numéro ne sortait pas, il était en droit d'espérer qu'au bout de vingt ans, la somme qu'il toucherait aurait une valeur réelle appréciable, représentant le double ou même le triple de son placement effectif d'origine. Pour l'État soviétique, au contraire, les effets de la déflation se présentaient de façon moins heureuse. Jusqu'en 1947, l'inflation permanente permettait à l'État de prendre à un salarié 100 roubles et de ne lui verser en échange - beaucoup plus tard - que quelque 10 roubles de marchandises; mais, désorn1ais, sa propre 10. Cf. Narodnoe Khoaiaistvo SSSR [L'~conomie Nationale de l'URSS], Moscou, 1956, pp. 210-211.
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