. 30 , tous d'accord sur la nature des mesures de pression · exercées sur les travailleurs pour les forcer à souscrire, bon an mal an, des titres d'emprunt pour un montant fixé à deux, trois ou quatre semaines de salaire; et ces indications se recoupent parfaitement avec les données de source soviétique officielle. C'est ainsi qu'en 1940, par exemple, la masse des salaires versés atteignait cent soixante et un milliards de roubles. Les souscriptions à l'emprunt, durant la même année, se montaient à 9,2 milliards, soit environ 2,9 fois le montant du salaire hebdomadaire moyen. 4 L'élément de contrainte intervenant dans cet investissement massif s'avère indirectement de bien des façons. Et d'abord, il est hors de doute que, malgré les progrès énormes accomplis par les Soviets en matière de technologie et sur le plan de la puissance militaire et industrielle, le niveau de vie en URSS s'est maintenu, durant de nombreuses années, aux limites mêmes du dénuement ; si, depuis dix ans, les salaires réels se sont élevés, ils restent cependant très bas. Dans ces conditions, comment attendre du salarié chef de famille qu'il réalise sur ses maigres disponibilités l'épargne voulue pour acheter des fonds d'État? Pourtant, chaque année, c'est une proportion de 5 à 6 % des revenus privés qui est absorbée par le gouffre de l'emprunt. Dire que le peuple soviétique s'est précipité de lui-même sur les titres qui lui étaient offerts serait bien peu vraisemblable, même si son gouvernement n'effectuait pas de bien d'autres manières de lourds prélèvements sur le produit du travail. On sait en effet que le citoyen soviétique est à cet égard le plus défavorisé du monde : depuis 1930, la proportion des revenus personnels (non compris les souscriptions aux emprunts) reversée à l'État sous forme d'impôts directs et i~directs a yarié entre 45 et 60 %. Ainsi pour l'année 1940, déjà choisie comme exemple, la fiscalité s'est élevée à 136 milliards de roubles, sur un revenu monétaire brut de 236 milliards, soit près de 56 %-5 Peut-on du moins prétendre qu'en dépit des bas salaires et des lourdes contributions et taxes qui réduisaient leurs disponibilités, les travailleurs soviétiques furent tentés d'acquérir des fonds d'État en raison du taux élevé des intérêts offerts jusqu'en 1936, taux qui allait de 8 à 13 % ? Cela aurait pu être le cas, en effet, si les prix des principaux articles de consommation étaient restés constants, ou s'étaient élevés annuellement dans des proportions inférieures au taux d'intérêt 4. Cf. Holzman, op. cit., cliap. IX et~X. 5. Ibid. Biblioteca Gino Bianco , L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE ù offert; mais il n'en était rien, et l'inflation des prix rendait purement illusoire le service d'un intérêt quelconque. Supposons par exemple qu'un titre de 100 roubles rapporte nominalement 13 % : sa· valeur est de 113 roubles au moment où le coupon est détachable ; mais si, entre temps, les prix ont augmenté de 13 %, l'épargnant n'a en fait perçu aucun intérêt, puisque au bout du compte il ne peut rien acheter de plus que ce dont il s'est privé depuis un an. En fait, dans toute la période de guerre et d'avant-guerre, l'économie soviétique .fut en proie à ce genre d'inflation permanente. Les prix des biens de consommation montèrent en moyenne de 22 % par an durant la période 1928-1937 et de 14 % par an dans la période 1938-1948. 6 Une autre caractéristique qui a toujours rendu indésirable l'acquisition de titres d'emprunt soviétique, c'est leur inconvertibilité ·en argent liquide. Ils ne sont pas remboursables sur demande, et leur montant nominal n'est restitué, comme nous l'avons vu plus haut, que dans le cas imprévisible où leur numéro est gagnant à la loterie. Ainsi, l'argent employé à l'achat des titres est immobilisé pour une durée de dix à vingt ans. Dans ces conditions, comment croire à une ruée vers les guichets ? 7 On peut d'ailleurs remarquer que les bons· d'État, au lieu d'être vendus dans des banques et des bureaux de poste où la population aurait · pu volontairement se rendre pour en faire l'acquisition, étaient souscrits au guichet des caisses d'entreprise, sur le lieu même du travail. 8 En fait, les versements se faisaient par dix tranches mensuelles, comme l'impôt sur le revenu, et sous forme de prélèvements automatiques sur les salaires. Impôts et inflation ' Dans ces conditions, l'on conçoit plus aisément les buts et les effets du dernier moratoire. En l'espèce, deux questions se posent : a. Pourquoi les Soviets, après avoir forcé les gens pendant trente ans à acheter de l'emprunt, ont-ils soudain décidé de mettre fin à cette pratique ? b. Pourquoi 6. La hausse annuelle a donc été constamment supérieure à l'intérêt offert et personne n'avait avantage à placer de l'argent. Cf. Janet Chapman, « Real Wages in the Soviet Union, 1928-1948 », Review of Economies and Statistîcs (Cambridge), mai 1954, p. 143; et Naum Jasny, The Soviet Economy During the Plan Bra (Stanford University Press), 1951, p. 58. 7. On comprend aisément le pourquoi de cette inconvèrtibilité. Avec la hausse rapide des prix, les titres, à peine achetés sous la contrainte, auraient été présentés au remboursement. , 8. Il existe une exception : celle des obligations dites d' « achat volontaire » ou « au comptant » qui existent encore en URSS, mais qui n'ont jamais représenté qu'une partie minime des émissions.
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