Page oubliée LA BIBLE par Georges Sorel La Contribution à l'étude profane de la Bible, par E. G. Sorel (Paris, Auguste Ghio, éditeur, 1899) est un ouvrage bien oublié, devenu d'ailleurs presque introuvable. Les soréliens n'y font pas volontiers allusion : ainsi Robert Louzon qui n'en dit pas un mot dans sa longue Introduction aux Lettres [de G. Sorel] à Paul Delesalle (Paris, Grasset, 1947). Pourtant il importe de rappeler quel intérêt le théoricien du syndicalisme révolutionnaire accordait aux Écritures judéo-chrétiennes. Son opinion est résumée dans la courte Préface au livre en question, ci-dessous reproduite. Elle s'avère actuelle au moment où, coup sur coup, deux nouvelles éditions françaises de la Bible, celle de l' École biblique de Jérusalem (Paris, Éditions du Cerf, 1956) et surtout celle d'Édouard Dhorme (Paris, Gallimard, 1956) retiennent l'attention des lecteurs anxieux de remonter aux sources. L'INSTRUCTION du peuple est la grande préoccupation de notre société contemporaine. On a voulu que le peuple sût lire : on ne lui a pas donné de Livre. Le Livre du peuple existe : c'est la Bible. La vulgarisation de la Bible est aujourd'hui une question sociale. La Bible est le seul livre qui puisse servir à l'instruction du peuple, l'initier à la vie héroïque, combattre les tendances délétères de l'utilitarisme, arrêter la propagation de l'idée révolutionnaire. L'Église catholique, au temps des hérésies, a trouvé dangereux de mettre la Bible entre les mains des fidèles. Aujourd'hui la situation est Biblioteca Gino Bianco bien changée : le peuple se soucie fort peu des hérésies ; il est devenu antichrétien. L'utilitarisme ronge la bourgeoisie autant que la plèbe. On a dit que les temps héroïques sont finis. C'est pour les gastrolâtres triomphants qu'Ésaïe a dit : Malheur à la superbe couronne des enivrés d' Ephraïnz ... Présenter la Bible au point de vue religieux serait folie ; le peuple la rejetterait. Il faut la faire entrer dans la littérature profane et l'introduire comme un ouvrage classique. Je m'adresse à l'Université, qui enseigne le peuple, et à la '~bourgeoisie q11i le gouverne. Je leur demande d'étudier la Bible : je sais que cette lecture sera fructueuse. Pourquoi la jeunesse universitaire laisse-t-elle de côté ce grand monument? Beaucoup sont rebutés, sans doute, par l'orgueil et l'intolérance des théologiens. Ce livre ne s'adresse pas à la petite Église des protestants libéraux, pour laquelle s'écrivent presque tous les ouvrages de critique. Je m'adresse au public lettré, non pour lui donner des leçons, mais pour exciter chez lui le désir d'aborder l'étude de la Bible. Si nos professeurs de lycées se lancent dans la carrière, ils ne tarderont pas à reconnaître que l'Université a un grand devoir à- remplir : donner à la Bible une place prédominante dans l'instruction populaire. Paris, 15 mars 1889. • GEORG ES SOREL •
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