26 athéisme ·de doute, et ses tenants ne pensaient pas que la société pût être fondée sur un dogme, quel qu'il fût. Pour Robespierre et ses amis, rien n'était plus exécrable qu'un tel état d'esprit, par définition opposé à tout combat, et ils ont confondu dans le même « complot » le scepticisme de la classe opulente avec la frénésie des déchristianisateurs. La religion civique s'offrait à eux : on pouvait l'organiser dans des cultes qui n'étaient rien de plus qu'une mise en scène de la phraséologie révolutionnaire, mais à la différence de Cloots et de Chaumette qui mettaient l'accent sur le côté païen et ne déifiaient que l'Homme en magnifiant la Raison, Robespierre lance un manifeste en faveur de Dieu dont il fait le principe spirituel et moral de l'ordre républicain. On a soutenu qu'il n'en était rien, que l'Etre Suprême n'ajoute ni ne retranche à ce qui avait été déjà conçu en la matière. Dans ce cas, comment expliquer la formidable hostilité des déchristianisateurs de la Convention et des comités dont les murmures pendant la Fête annoncent la coalition qui va se nouer en thermidor? L' Incorruptible met lui-même le feu à la statue de l'athéisme; voilà le geste important, celui qui donne son sens à la cérémonie ; mais ce geste qui jugulait les forces redoutables de l'irrespect dans le peuple, rétrécissait aussi singulièrement le champ de vision des révolutionnaires. C'était la porte ouverte à l'intolérance. Il n'en reste pas moins que la chute de Robespierre a ruiné pour longtemps les espoirs en une démocratie égalitaire. En même temps que l'homme disparurent les contraintes qui brimaient les égoïsmes et freinaient les appétits. La société française n'était sans doute pas à la mesure du cadre dans lequel Robespierre prétendait l'enfermer, et dont en bon doctrinaire il ne voulait rien retrancher. Son intelligence plus chimérique que réaliste, son caractère intransigeant qui dénonçait dans tout compromis une concession au royalisme ou à l'aristocratie en font un homme d'État médiocre. Porté par le - -- - BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL flot il a grandi et dominé aussi longtemps que son système répondait aux terribles nécessités du moment ; à l'heure du reflux, quand une immense lassitude commença à s'emparer des foules, il resta seul avec Saint-Just et perdit pied. Ses adversaires, dressés en une coalition qui allait des terroristes aux modérés, n'eurent pas de peine à l'abattre; il leur laissa le champ libre, et quand il se décida tardivement à leur disputer la Convention, ce fut pour recommander de nouvelles épurations dans une assemblée déjà décimée. Il resta ainsi jusqu'au bout l'homme de la Terreur, et à vrai dire son radicalisme ne se conçoit guère sans elle. Le 8 thermidor encore, il s'écriait : Je ne sais pas respecter les fripons. J'adopte encore moins cette maxime royale qu'il est utile de les employer. Je suis fait pour combattre le crime, non pour le gouverner. Il n'était pas un ambitieux sans scrupules et les thermidoriens l'ont bassement calomnié ; il n'avait que des principes et pas assez d'humanité; volontiers misanthrope, amer, sans indulgence pour autrui, manquant foncièrement de cordialité, ce n'est pas son froid dogmatisme qui pouvait faire oublier ses défauts. Et pourtant, il fut grand à sa manière. Il poursuivait le triomphe d'une idée avec laquelle il faisait corps, il était pénétré de la haute mission du Législateur dont les décrets n'étaient pas loin, à ses yeux, d'égaler la sainteté des « décrets immuables » de la Providence. S'il a tenté la toute-puissance, ce n'est pas pour étrangler la République, mais pour lui donner des lois. Buonarroti ne pensait pas autrement : Les écrits que Robespierre nous a laissés, joints à ses mœurs publiques et privées, attestent qu'il fut constamment préoccupé de la pensée de régénération sociale à laqueUe il avait consacré sa vie : Peuple, Égalité, Vertu, étaient les grandes idées auxquelles il rapportait tous les devoirs du législateur ... ROBERT PETITGAND , ,
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