R. PETITGAND chose enfin comme la présidence de Louis Bonaparte. Cela est prouvé par la suite de ses discours, reconnu par ses apologistes, notamment par MM. Buchez et Lebas, et acquis désormais à !'Histoire. Robespierre savait parfaitement qu'il répondait aux vœux secrets de la majorité de la Convention, il se sentait d'accord avec elle sur les principes : il n'ignorait pas non plus sans doute que la diplomatie étrangère commençait à voir en lui un homme d'État, avec lequel il serait possible de s'entendre. · ... Malheureusement pour lui, Robespierre avait peu d'amis dans la Convention, son projet n'était pas clair; à des hommes qui le voyaient de près, son génie inspirait peu de confiance : il s'attaquait à trop forte partie ... On a dit que Robespierre aspirait à la dictature, d'autres qu'il voulait le rétablissement de la royauté. L'une de ces accusations réfute l'autre. Robespierre, qui n'abandonnait pas plus ses convictions qu'il ne renonçait à sa popularité, aspirait à être chef du Pouvoir exécutif dans un gouvernement constitutionnel. Il eût accepté une place au Directoire ou au Consulat ; il eût été de l'opposition dynastique après 1830; nous l'eussions vu après Février approuver le gouvernement provisoire : sa haine des athées, son amour instinctif des prêtres l'auraient fait voter pour l'expédition de Rome. ... De même qu'en 93 ceux qui se paraient avec le plus d'affectation du titre de Révolutionnaires ne voulaient pas qu'on agitât les questions de propriété et d'économie sociale, envoyant à l'échafaud les anarchistes qui réclamaient pour le peuple des garanties de travail et de subsistance, de même aujourd'hui, en pleine révolution, les continuateurs avoués ou secrets du jacobinisme se retranchent exclusivement dans les questions politiques, évitent de s'expliquer sur les réformes économiques, ou s'ils y touchent c'est pour débiter quelques préceptes innocents de fraternité rapportés des agapes de Jérusalem. Tous ces coureurs de popularité, saltimbanques de révolution, ont pris pour oracle Robespierre, l'éternel dénonciateur à la cervelle vide, à la dent de vipère, qui sommé d'articuler ses plans, d'indiquer ses voies et moyens, ne savait jamais que battre en retraite devant les difficultés en accusant des difficultés ceux-là mêmes qui lui demandaient des solutions. Ce rhéteur pusillanime, ce calomniateur infatigable de tous les personnages qu'il pillait, devait servir cinquante ans plus tard de patron à tous les révolutionnaires ahuris, servant leur cause comme ces chevaux boiteux qu'on attache derrière la voiture servent à la tirer. - Dites-nous donc, une fois, ô vous tous disciples du grand Robespierre, comment vous comprenez la Révolution? Vos voies et moyens ? ... N'est-ce pas là encore une fois Robespierre, le parleur sans initiative trouvant à Danton trop de virilité, blâmant les hardiesses généreuses dont il se sent incapable, s'abstenant le 10 août, n'approuvant ni ne désapprouvant les massacres de Septembre, flétrissant la Fête de la Raison et faisant celle de l' Etre Suprême, poursuivant Carrier et appuyant Fouquier-Tinville, donnant le baiser de paix à Camille Desmoulins dans la matinée et le faisant arrêter dans la nuit ; proposant l'abolition de la peine de mort et rédigeant la loi de Prairial... ; n'ayant d'estime que pour la bourgeoisie gouvernementale et le clergé réfractaire; jetant le discrédit sur la Révolution, tantôt à propos du serment des ecclésiastiques, tantôt à l'occasion des assignats; n'épargnant que ceux à qui le silence ou le suicide assurent un refuge, et succombant enfin le jour où, resté presque seul avec les hommes du juste milieu, il essaye d'enchaîner à son profit, et de connivence avec eux, la Révolution. Ah I je connais trop ce reptile, j'ai trop senti le frétillement de sa queue pour que je ménage Biblioteca Gino Bianco 23 en lui le vice secret des démocrates, ferment corrupteur de toute république. Les socialistes au x1xe siècle sont loin de souscrire au jugement si défavorable de Proudhon. Pour eux, Robespierre est le précurseur, et ils retrouvent dans ses discours l'écho de leurs propres préoccupations. Louis Blanc admire en l' Incorruptible le défenseur des pauvres, l'apôtre de la Vertu, pour tout dire le martyr de la Démocratie : Sachant que les membres du Tribunal révolutionnaire devaient venir, Robespierre perdit un peu de temps à les attendre : et ce retard ne manqua pas de lui être imputé à crime. « Il fait le roi », murmurèrent ses ennemis et ils montrèrent son siège vide au milieu de l'amphithéâtre où la Convention l'avait précédé ... Ceux qui pleuraient Danton et qui regrettaient Hébert étaient animés d'une fureur sourde. Elle redoubla quand Robespierre parut au milieu des acclamations de la multitude. Ils disaient en mariant ce cri de l'envie à l'injure ou au sarcasme:« Voyez comme on l'applaudit! » Lui tenait levés sa figure blême et son front lisse, qu'illuminait un rayon de tendresse. Son discours à cette occasion parut si beau, si pathétique que La Harpe en fit un éloge passionné ... Peut-être était-ce le moment d'annoncer qu'une ère nouvelle commençait, qu'on allait sortir de la Terreur ... Robespierre recula devant cette déclaration magnanime, soit qu'il n'eût pas encore la force de réaliser une telle promesse, ou que l'heure ne lui semblât pas tout à fait venue, ou que les colères grondant autour de lui l'avertissent du danger de fléchir, même d'en avoir l'air. Que la terreur lui parût nécessaire quelques jours de plus ... contre les terroristes, la suite le prouva du reste, et c'est ce qui explique cette phrase si navrante au sein de la joie publique : «Livrons-nous aujourd'hui aux transports d'une pure allégresse, demain nous combattrons encore les vices et les tyrans. » Plus loin, évoquant la retraite de Robespierre après le vote de la loi de Prairial et les attaques do11t il est l'objet de la part de ses collègues, Louis Blanc ajoute : Que résoudre alors? Il imagina d'abandonner sinon le titre, du moins les fonctions de membre du Comité de Salut public, pour qu'il restât bien démontré que les maux de la Patrie n'étaient point son ouvrage, pour que le fait de la tyrannie subsistant dans toute sa force après la retraite du tyran, servît à confondre les calomniateurs. Mais en se retirant il laissait entre les mains de ses ennemis une arme [la loi de Prairial] dont ils firent un abominable usage et dont l'invention devait à jamais charger sa mémoire, puisque cette arme, c'était lui qui l'avait forgée. S'il se flatta de l'espoir que la postérité, lui tenant compte des intentions oublierait les résultats, son erreur fut profonde. Le sang dont nous l'entendrons bientôt déplorer l'effusion, et que versèrent des hommes qui lui faisaient horreur, ce sang est resté sur son nom. Qu'on dise donc encore que« le but justifie les moyens» l Robespierre tomba un moment dans le piège de cette doctrine captieuse, et l'expiation pour lui n'a pas été épuisée par la mort. D'une manière générale, l'exception des socialistes, • le XIX8 siècle, à est sévère pour
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