24 Robespierre alors que le nôtre a tendance à l'exalter. Pourquoi avoir choisi de citer notamment Lamartine et Proudhon? Le premier, fasciné par le personnage le voit assez objectivement, encore que son libéralisme le désavoue ; le second introduit dans le débat ·une note nettement originale et qui frise parfois le paradoxe. Dans notre siècle, nous pourrions aussi retenir nombre de jugements intéressants formulés par des historiens mieux documentés. L'obligation de faire un choix oblige à se restreindre. Nous nous limiterons donc à l'opinion de Jean Jaurès dont les quatre volumes sur la Révolution dans l' Histoire socialistede la Francede 1789 à 1900 constituent un modèle de pénétration et de style. Jaurès qui ne dissocie pas le socialisme de la République fait alors preuve d'une grande largeur de vues. Dans le tome IV (La Convention, pp. 1803 et sq.), il montre Robespierre placé devant une alternative : Quand après l'élimination de l'hébertisme et du dantonisme, il est en réalité le seul maître de la politique, responsable des événements, il n'a qu'un moyen de gouverner ·en effet, de rallier autour de lui les esprits, c'est de dire nettement où il veut conduire la Révolution : et il ne le dit pas; et il se trouve qu'à côté de lui le fier et courageux Saint-Just, comme s'il commençait à défier la mort, conseille le silence et l'attente. Funestes temporisations qui laissaient se produire toutes les incertitudes. De plus, après les grandes et sanglantes épurations de Germinal, le devoir de Robespierre était de rassurer autour de lui les révolutionnaires. Ou Robespierre se condamnait à la politique de l'échafaud à perpétuité, ou il fallait qu'il annonçât, qu'il pratiquât une large amnistie révolutionnaire pour tous les égarements de la Terreur, pour ses frénésies sensuelles comme pour ses frénésies sanglantes. Et toutes les énergies de révolution qui avaient été un moment ou surexcitées par un fanatisme de violence ·ou corrompues par une ivresse de passion et de volupté devaient espérer trouver leur place dans l'ordre révolutionnaire nouveau plus calme, plus ordonné et plus pur ... Robespierre ne sut point imposer autour de lui la -confiance. Dans l'âpre lutte où il avait dû assumer tant de responsabilités sanglantes, son orgueil avait encore grandi. Il s'était écrié en août 1793 : « La Révolution est perdue si un homme ne se lève pas. » Il s'était levé, mais obligé à frapper de toutes parts et d'être en quelque sorte le répartiteur de la mort, il avait contracté un pli de hautaine tristesse. 11 était peu fait pour ces communications cordiales qui étaient pourtant à cette date la condition absolue du succès de sa politique. Il ·avait souffert, et dans sa dignité, et dans son amour- ·propre, et dans son pur amour de la Révolution, des violences atroces qui avaient déshonoré çà et là le gouvernement révolutionnaire... Il les détestait d'autant plus que n'ayant pu les empêcher, il pouvait en paraître solidaire... Et parfois, ceux qu'il méprisait et haïssait surprenaient sur son visage l'inquiétant reflet d'une pensée profonde. Enfin, et c'est la terrible rançon de l'échafaud, la mort avait été si souvent depuis des mois l'expédient suprême, la grande solution, qu'à chaque problème qui _troublait et dépassait l'esprit, elle revenait $'offrir avec Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL une sorte de familiarité obsédante. Ou bien elle aurait raison des pervers et des corrompus qui souillaient la Révolution, ou bien elle ouvrirait aux hommes vertueux cet asile d'immortalité où ils aspiraient. DE LA PLUPART des témoignages qui précèdent, une conclusion semble se dégager : ? la sincérité des convictions révolutionnaires de Maximilien Robespierre. Elle n'est plus _aujourd'hui mise en doute. Hamel avait déjà prononcé un beau plaidoyer en faveur de l' Incorruptible ; Albert Mathiez, et plus encore Georges Lefebvre, historien d'une objectivité et d'une lucidité exceptionnelles, insérant dans le raccourci saisissant des formules une vue plongeante sur l'événement, ont montré à l'évidence que Maximilien était autre qu'un simple ambitieux ou un vulgaire démagogue. Ils n'ont néanmoins pas tranché sur une question essentielle, à savoir s'il n'identifiait pas son propre pouvoir au règne de la Vertu. Robespierre, gouverné lui-même par une idéologie, a présidé au gouvernement de la Terreur. Les deux termes du débat se situent dans l'intransigeance sectaire des idées, d'une part, et dans la violence de la force « coactive » mise en œuvre pour les réaliser, d'autre part. L'union s'est faite en Robespierre, mieux qu'en tout autre, parce qu'animé d'un véritable fanatisme de la Vertu, il apparaît comme l'incarnation du jacobinisme, la conscience d'une révolution en voie de dépassement et devenue par cela même minoritaire, aux prises non plus seulement avec les forces du passé, mais aussi avec les intérêts et les tenants d'une grande partie du tiers état. Un fanatisme figé dans la violence, soutenu par quelques séides groupés aux Jacobins et dans . les co~tés locaux épurés des hébertistes, soupçonneux à l'égard de tous, dénonçant dans ce qui l'entoure une «corruption» qu'il distingue mal de la contre-révolution, voilà dans quel climat respire Robespierre au cours des derniers mois. Le mot de «fripon » qu'il avait constamment à la bouche, son «injuste méfiance à l'égard de ses collègues », comme l'ostracisme dont il se frappe lui-même en ne venant plus à la Convention ou ~u Comité, et le raidissement désespéré de la fin, tout cela démontre combien il se sentait seul et faible face à la coalition des intérêts. Il ·préparait un grand discours, un discours qui devait foudroyer l'immoralité, car cet homme politique qui n'est pas un homme d'action-croit à la magie des idées et à la vertu des mots. Certes, ce n'est pas là le comportement de l'ambitieux • • • A qw aspire au pouvoir supreme. . Et pourtant, si ,Robespierre, vaincu avant
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