Le Contrat Social - anno II - n. 1 - gennaio 1958

22 .. occasion la parole, et s'attaquait indifféremment à tous les orateurs, •même à Mirabeau. Précipité de la tribune, il y remontait le lendemain ; humilié par les sarcasmes, étouffé par les murmures, désavoué par tous les partis, disparaissant entre les grands athlètes qui fixaient l'attention publique, il était sans cesse vaincu, jamais lassé. On eût dit qu'un génie intime et prophétique lui révélait d'avance la vanité de tous ces talents, la toutepuissance de la volonté et de la patience, et qu'une voix entendue de lui seul lui disait : « Les hommes qui te méprisent t'appartiennent : tous les détours de cette Révolution qui ne veut pas de toi viendront aboutir à toi, car tu t'es placé sur sa route comme l'inévitable excès auquel aboutit toute impulsion. » Cet homme, c'était Robespierre. A la fin de son œuvre c'est l'homme politique que Lamartine juge : Il y a un dessein dans sa vie, et ce dessein est grand : c'est le règne de la raison par la Démocratie. Il y a un mobile, et ce mobile est louable: c'est la soif de la vérité et de la justice dans les lois. Il y a une action et cette action est méritoire: c'est le combat à mort contre le vice, le mensonge et le despotisme. Il y a un dévouement, et ce dévouement est constant, absolu comme une immolation antique: c'est le sacrifice de soi-même, de sa jeunesse, de son repos, de son bonheur, de son ambition, de sa vie, de sa mémoire, à son œuvre. Enfin il y a un moyen, et ce moyen est tour à tour légitime ou exécrabl~ : ~'est la popularité. 11 caresse le peuple dans ses parties ignobles. 11 exagère le soupçon. Il suscite l'envie. Il agace la colère. Il envenime la vengeance. 11 ouvre les veines du corps social pour guérir le mal · ~ai~ ~l en laisse coule~ la vie, pure ou impure, ave~ mdifference, sans se Jeter entre les victimes et les bourreaux. Il ne veut pas le mal, et il l'accepte ... Il permet que son nom serve pendant dix-huit mois d'enseigne à l'échafaud et de justification à la mort. Il espère racheter plus tard ce qui ne se rachète jamais : le crime présent par la sainteté des institutions futures. Il s'enivre d'une perspective de félicité publique pendant ~ue la ~r~nce palpite ~ur l'échafaud. Il a le vertige de 1 humamte. 11 veut extirper avec le fer toutes les racines malfaisantes du sol social. 11 se croit les droits de la Providence, parce qu'il en a le sentiment et le plan dans son imagination. 11 se met à la place de Dieu. Il veut être le génie exterminateur et créateur de la Révolution. Il oublie que si chaque homme se divinisait ainsi luimême, il ne resterait à la fir1 qu'un seul homme sur le globe, et que ce dernier des hommes serait l'assassin de tous les autres. 11 tache ·de sang les plus pures doctrines de la philosophie. Il inspire à l'avenir l'effroi du règne du peuple, la répugnance à l'institution de la République, le doute sur la liberté... Il était en effet en ce moment, l'âme de la République. Elle s'évanoui; dans son dernier soupir. Si Robespierre s'était conservé pur et sans concession aux égarements des démagogues ... la. République a~rait survécu, rajeuni et triomphé en lm. Elle cherchait un régulateur, il ne lui présentait qu'un complice. Il lui préparait un Cromwell. pLus INDULGENT, Charles Nodier, dans les . Souvenirs de la Révolution et de l'Empire, discerne chez Robespierre le dessein bien arrêté de. modérer la Révolution. L'orateur, qu'il BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL· campe à la tribune avec tout le pouvoir de suggestion de l'art romantique, lui paraît égaler les· plus grands, et son discours du 8 thermidor, « œuvre monumentale », soutenir la comparaison avec l'éloquence inspirée de Mirabeau. · La nature n'avait rien fait pour lui qui semblât le prédestiner aux· succès de l'orateur. Qu'on s'imagine un homme assez petit, aux formes grêles, à la physionomie effilée, au front comprimé sur les côtés, comme une bête de proie, à la bouche longue, pâle et serrée, à la voix rauque dans le bas, fausse dans les tons élevés et qui se convertissait dans l'exaltation et la colère en une espèce de glapissement assez semblable à celui des hyènes : voilà Robespierre. Ajoutez à cela l'attirail d'une coquetterie empesée, prude et boudeuse, et vous l'avez presque tout entier. Ce qui caractérise l'âme, le regard, c'est en lui je ne sais quel trait pointu qui jaillit d'une prunelle fauve, entre deux paupières convulsivement rétractiles, et qui vous blesse en vous touchant. Vous devinez tout au plus au frémissement nerveux qui parcourt ses membres palpitants, au tic habituel qui tourmente les muscles de sa face et qui leur prête spontanément l'expression du rire ou de la douleur, au tressaillement de ses doigts qui jouent sur la planche de la tribune comme sur les touches d'une épinette, que toute l'âme de cet homme est intéressée dans le sentiment qu'il veut communiquer, et qu'à force de s'identifier avec la passion quî le domine, il peut devenir, de temps en temps, grand et imposant comme elle. C'est une singulière méprise que d'avoir appelé Bonaparte la révolution irzcarné.e.• Bonaparte était tout simplement le despotisme incarné. La révolution incarnée, c'est Robespierre, avec son horrible bonne foi, sa naïveté de sang, et sa conscience pure et cruelle ... ... Les combinaisons de Robespierre, devenu maître de la Révolution, n'étaient pas même le calcul d'une ambition spéculative. 11 avait senti que ce système ne pouvait pas durer, et il croyait sa main assez forte pour retenir le char de la révolution sur la pente où il descendait dans l'abîme. Quant à s'en faire à lui un char d'ovation et de triomphe, je doute qu'il y ait pensé avec une grande puissance de résolution puisqu'il ne profita point de la fête religieuse du 20 prairial pour franchir tout ce qui restait de barrières entre la dictature et lui. Dans le domaine politique, nombreux parmi les républicains de 48 étaient ceux qui parta.;. geaient l'opinion de Lamartine, tout en accordant parfois, comme le fait Nodier, leur sympathie au personnage. Il s'élève cependant des voix discordantes, même chez ceux qui veulent une véritable révolution sociale, et que l'on penserait à bon droit les héritiers spirituels de l' Incorruptible. Proudhon par exemple, s'interrogeant sur la signification du 9-Thermidor, décèle en Robespierre un dessein inattendu, et qui rejoint finalement celui des classes dirigeantes (Idées générales de la Révolution, p_p. 169 à 175) : Aucun historien, que je sache, n'a donné une explication de cette journée, qui fit d'un apostat de la Démo- _ cratie un martyr de la Révolution. Ce qu'il demandait à la Convention, le 9 thermidor, était donc, après épuration préalable et par la guillotine toujours, des Comités de Salut public et de Sûreté générale, une plus grande concentration des pouvoirs, une direction plus unitaire du gouvernement, quelque

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