Le Contrat Social - anno II - n. 1 - gennaio 1958

R. . PETITGAND Je croirais assez que, dans les commencements de la Révolution, il avait adopté de bonne foi, sur l'égalité des fortunes aussi bien que sur celle des rangs, de certaines idées attrapées dans ses lectures, et dont son caractère envieux et méchant s'armait avec plaisir. Mais il devint ambitieux lorsqu'il eut triomphé de son rival en démagogie, Danton, le Mirabeau de la populace. Ce dernier était plus spirituel que Robespierre, plus accessible à la pitié, mais on le soupçonnait avec raison de pouvoir être corrompu par l'argent, et cette faiblesse finit toujours par perdre les démagogues... Danton était un factieux, Robespierre un hypocrite. Danton voulait du plaisir, Robespierre seulement du pouvoir; il envoyait à l'échafaud les uns comme contre-révolutionnaires, les autres comme ultra-révolutionnaires. Il y avait quelque chose de mystérieux dans sa façon d'être, qui faisait planer une terreur inconnue au milieu de la terreur ostensible que le gouvernement proclamait. Jamais il n'adopta les moyens de popularité généralement reçus, alors qu'il n'était point mal vêtu, au contraire; il portait seul de la poudre dans les cheveux, ses habits étaient soignés et sa contenance n'avait rien de familier. Le désir de dominer le portait sans doute à se distinguer des autres, dans le moment même où l'on voulait en tout l'égalité. L'on aperçoit aussi les traces d'un dessein secret dans les discours embrouillés qu'il tenait à la Convention et qui rappellent, à quelques égards, ceux de Cromwell. Il n'y a guère cependant qu'un chef militaire qui puisse devenir dictateur. Mais alors le pouvoir civil était bien plus influent que le pouvoir militaire; l'esprit républicain portait à la défiance contre tous les généraux victorieux ; les soldats eux-mêmes livraient leurs chefs aussitôt qu'il s'élevait la moindre inquiétude sur leur bonne foi. Les dogmes politiques, si ce nom peut convenir à de tels égarements, régnaient alors, non les hommes. On voulait quelque chose d'abstrait dans l'autorité, pour que tout le monde fût censé y avoir part. Robespierre avait acquis la réputation d'une haute valeur démocratique, on le croyait incapable d'une vue personnelle : dès qu'on l'en soupçonna, sa puissance fut ébranlée. (EUVRES DE COMBATTANTS, ces jugements portent bien la marque évidente de la sincérité, mais aussi de la passion qui les a dictés. Ils ne sont point sereins car ils reflètent des éléments affectifs ; chez Barère, par exemple, un drame de conscience qui, au soir de sa vie, lui fait regretter Thermidor. Billaud-Varenne, cependant, volontairement ambigu et plus politique, exprime le point de vue d'un républicain et de la majorité des thermidoriens honnêtes qui, en leur for intérieur, pensaient sans doute comme lui. Mallet du Pan, adversaire déclaré de ce qu'il considère comme un système de tyrannie, Mme de Staël, ennemie de tout fanatisme et dont la position sur le problème préfigure celle des libéraux du x1xe siècle, n'éprouvent pas à l'égard du personnage l'ambivalence de sentiments que l'on devine chez les deux premiers, mais une franche hostilité. Quant à Marc-Antoine Baudot, simple témoin Biblioteca Gino Bianco 21· du drame, il en tire une philosophie et épilogue sur certains aspects de la puissance ; nous pouvons dans une certaine mesure penser de même; Robespierre, mû par une idée, porté par le frémissement des foules, n'a d'autre soutien que leur paroxysme. La complexité, donc, du problème historique, l'incertitude qui s'attache aux desseins du chef montagnard et l'ignorance où nous demeurons de ses fins dernières elles-mêmes, ont été, après un large tour d'horizon, résumées par Napoléon en quelques paroles qui se voudraient concluantes (Mémorial de Sainte-Hélène, tome I, p. 423) : Ceux qui sont portés à croire que Robespierre étant lassé, gorgé, effrayé de la Révolution avait résolu de l'arrêter, disent qu'il ne voulut agir qu'après avoir lu son fameux discours *. Il le trouvait si beau qu'il ne doutait pas de son effet sur l'Assemblée. S'il en est ainsi, son erreur et sa vanité lui coûtèrent cher. Ceux qui pensent différemment objectent que Danton et Camille Desmoulins avaient précisément la même pensée, et que pourtant Robespierre les immola. Les premiers répondent que ce ne serait pas une raison, que Robespierre les immola pour conserver sa popularité, quand il jugea que le moment n'était pas encore venu, ou bien encore pour ne pas leur laisser la gloire de l'entreprise. Quoi qu'il en soit, plus on s'est rapproché des instruments et des acteurs de cette catastrophe, et plus on y a trouvé d'obscurité et de mystère : cela ne fera que s'accroître encore avec le temps. Aussi la vérité de l'histoire, sur ce point comme en tant d'autres, ne sera probablement pas ce qui a eu lieu, mais seulement . , ce qui sera raconte. En plein x1xe siècle, dans le mouvement républicain qui se développe surtout à partir de 1830 et qui triomphe passagèrement en février 48, on vivait sur les souvenirs de la Révolution et l'on évoquait à tout propos les Grands Ancêtres. Durant toute cette période et encore par la suite, il n'est guère de chef républicain qui n'ait cru devoir apporter sa contribution, modeste ou féconde, aux études révolutionnaires. Robespierre et Danton, grandes figures de l'épopée républicaine, inspirent alors les romantiques : leur passion salvatrice, le tragique de leur destinée, qui s'inscrit dans la fatalité des révolutions, ont de quoi faire réfléchir le politique et susciter l'enthousiasme du poète. Lamartine, dans son Histoire des Girondins (tome IV), découvre Robespierre aux États , , generaux: Dans l'ombre encore, et derrière les chefs de l' Assemblée nationale, un homme presque inconnu commençait à se mouvoir, agité d'une pensée inquiète qui semblait lui interdire le silence et le repos : il tentait en toute • Il s'agit du discours prononcé par Robespierre le B thermidor, vingt-Quatre heures avant sa chute, que le Moniteur n'avait pas inséré et dont toutes traces même auraient été enlevées, d'après ce que rapporte Cambacérès.

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